Premier long métrage de René Clément, La Bataille du Rail annonce la couleur : au sortir de la guerre, le jeune réalisateur s’occupe d’unifier le peuple français à coups de sublimations résistantes. Avant Le Père Tranquille, qui mettra la discrétion de monsieur tout-le-monde au service du renseignement et de l’organisation, La Bataille du Rail porte en héros les cheminots de France, courageux et indispensables saboteurs des transports de l’ennemi.
Autour d’une gare de triage, tous s’activent à la résistance dans le dos de l’allemand tandis qu’une voix-off explique ce qui, selon les allemands, doit être est fait, et ce qui est fait : messages et caches d’hommes d’un côté à l’autre de la ligne de démarcation, petits sabotages et petits dégâts, retards et destructions de voies. Bientôt, c’est le transport de troupes vers le front du débarquement qui devient la cible des cheminots.
« Entre les rouages de cette mécanique précise du dispatching, les cheminots introduisent des cailloux, qui font grincer la machine. Elle ne tourne plus rond. Elle résiste. »
Le choix du point de vue est documentaire, et les vingt premières minutes sont assez réussies. Quand le scénario s’en mêle, vient structurer la fiction, le ton tourne au sublime collectif, les cheminots sont un ensemble soudé de forces avançant dans le même sens. Utopique. Idéal. Comme l’idée de porter un souffle magnifiant de l’héroïsme résistant. Mais malgré les envolées lyriques, la plainte des locomotives lors de l’exécution de six saboteurs pris au hasard, l’idée de filmer les ondes libératrices de l’émetteur aux lampes incandescentes de la radio en passant par l’antenne, le film perd de sa puissance première en se contentant de formater la réalité à son récit d’heureuse propagande plutôt que l’inverse, et laisse l’identification de côté en ne s’attachant à aucun personnage principal.
Restent les actes collectifs, le sacrifice, les improvisations. Les défauts du récit n’empêchent pas le cinéaste d’exprimer clairement son propos naïf et bienheureux, cette vision réconfortante et nécessaire au lendemain de six ans d’horreur, d’une France unie dans l’adversité, dans l’abnégation et dans l’effort, unie et récompensée par la victoire. L’aspect documentaire, s’il n’est pas toujours maitrisé, du moins est assumé, et le propos, un brun naïf, reste clair, limpide. La Bataille du Rail est certes une jolie fable, c’est aussi un premier film honnête.
Honorable.
Matthieu Marsan-Bacheré