Reprendre le mythe de Faust, c'est s'appuyer sur une intrigue qui a fait ses preuves, et prendre le risque de verser dans le grand-guignol. Mais René Clair a bon goût, sait s'arrêter au bord du mauvais kitsch, faire dans le dense sans faire dans le surchargé. La quantité d'analyses auxquelles "la Beauté du Diable" peut donner lieu nécessiterait des pages, avant tout parce que le film bénéficie d'une réalisation éblouissante.
Tout est réfléchi — sans jeu de mots —, construit, maîtrisé, et le film n'est pas une simple adaptation. Gérard Philipe et Michel Simon, le premier bon, le second excellentissime, se moulent parfaitement dans leur personnage. Ordinairement, lorsqu'un acteur est plus grand que son personnage, c'est qu'il n'a pas trouvé la bonne distance ; ici, on se dit « C'est Simon et Philipe » et non « C'est Méphisto et Faust », et, assez étrangement, ce n'est pas gênant, radicalement différent de ce qu'aurait produit quelque acteur arrivé en tête d'un casting de pantins. Au passage, si les acteurs actuels pouvaient sans ridicule être aussi polyphoniques que Michel Simon, on y gagnerait beaucoup.
Le film n'est cependant pas un numéro d'acteurs. Mettant à contribution tous les procédés techniquement permis par le cinéma d'alors, à peine résumable, le film ne se réduit pas non plus à un vague message — et à ce titre il n'y a pas de « pour l'époque » qui tienne dans le cas de "la Beauté du Diable" : l'œuvre n'a pas pris une ride et doit être prise en bloc. René Clair est un grand cinéaste, non un simple pionnier.
Et la musique dans tout cela ? Je reste persuadé que le film lui doit une partie de ses immenses qualités. — Mais elle est éclipsée par la réalisation et par le jeu des acteurs.