Il est deux ou trois catégories de films qui semblent devoir souffrir de défauts d'écritures récurrents, et qui ont le don, au fil des années, de m'énerver de plus en plus. Parmi ces genres, le feel-good movie vient sans problème en tête de peloton. On ne peut plus en trouver un qui ne souffre du syndrome "on dirait…"
(Mais si, vous savez, cette façon qu'on avait, enfants, d'imaginer le truc un peu nawak juste pour que ça colle à notre jeu de rôle. On dirait… qu'on aurait tous des Ferrari dans le quartier, …qu'on est tous partis au canada, que…que… etc.)


Et pour que le moment tire-larme soit le plus kawaï possible, mimi tout plein, le ouiiiiiiiiii dégoulinant d'émoji-à-petits-coeurs à 11 sur l'ampli, les scénaristes se reposent sur ce procédé enfantin qui a le don de me mettre hors de moi, et obtenir l'exact inverse du résultat escompté. Un peu comme la musique de relaxation, qui me crispe comme un juge devant une interview d'Isabelle Balkany après sa libération pour cause de santé.
L'étincelle qui fait déborder le vase. La goutte d'eau qui met le feu aux poudres.


Certains parmi vous, qui me faites la joie de m'avoir lu jusque là tout en fronçant les sourcils, et pour le coup pas très observateurs, pourraient me rétorquer, tout à la hâte de me contredire, que Capra ne faisait pas autre chose dans, par exemple, son chef-d’œuvre le plus emblématique la vie est belle. Alors que rien n'est plus faux. Capra met précisément en place les conditions de la situation fantastique en nous faisant admettre dès le départ que les anges existent et qu'ils veillent au destin de George Bailey, pour que tout devienne possible, diégétiquement. Du coup, même les matérialistes les plus obtus et bornés, athées indécrottables et opposés à l'esprit de noël (comme peut l'être le vieux crouton qui écrit ces lignes) sont piégés. Et pleurent comme des madeleine (oui, je regarde toujours le film à l'époque des allergies de pollens)


Alors qu'au contraire, comme ici dans cette comédie pourtant fort sympathique et prenant un certain nombre de risques dont le cinéma français mainstream semble trop souvent avare, les facilités abondent et rendent l'émotion sinon impossible, au moins foutrement réfrénée.
Et ainsi, allez, "on dirait" que les deux personnages principaux seraient des caricatures mal dégrossies de l'époque (la technophile à tous crins et le vieux réfractaire has-been mais qui s'aiment-finalement-encore-tout-au-fond-d'eux-si-si-il-suffirait-d'une-étincelle-ah-bin-tiens-justement… pourtant très joliment interprétés par un duo d'acteurs que l'on avait pas vu à pareille fête depuis un bon moment), et puis après "on dirait" qu'il existe cette entreprise qui met en scène des soirées, mais qui dispose des moyens colossaux d'un tournage de film pour avoir des décors sur la taille d'un petit quartier avec tout ce qu'il faut de figurants et de costumes, sur plusieurs jours, et puis tiens, "on dirait" que la société pourrait faire coexister plusieurs plateaux en simultanés même si le boss suit exclusivement l'histoire qui nous intéresse, et puis "on dirait " aussi que… etc etc.


Il faut revoir l'introduction féérique de la ronde, de Max Ophüls, pour comprendre que la magie du cinéma, sa féérie intrinsèque ne dépend pas de la façon dont on prend le spectateur pour un enfant en bas âge dans le sens "un peu demeuré". Mais au contraire, jouer sur son envie de rentrer dans l'histoire via sa complicité consentie, et le faire jubiler. Passer du "on dirait" à "il était une fois".
Ça change tout.

guyness

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