Tout d'abord, une forêt brumeuse et la perspective d'un château qu'on dit abandonné. Dès les premières minutes de son film, Herz installe une ambiance gothique qui pourrait plutôt rappeler Nosferatu que Jean Cocteau. Si, comme chez le français aux mille talents, le texte du conte est cependant assez fidèlement respecté, le regard du tchèque aboutira à un résultat presque inversé. Sa beauté, Herz la travaillera ailleurs : dans ces longues nappes d'orgue épousant le caractère inquiétant de nombreuses scènes, dans ces tapis de feuilles mortes jonchant le sol du jardin de la demeure de la Bête, dans la pureté d'une rose blanche éclairant le teint terne et languissant d'une nature désolée.


Justement, cette rose blanche arrachée à sa tige sera le vrai point de départ des enjeux de notre histoire. C'est pour elle que Julie devra se présenter auprès de la Bête, une Bête à tête d'oiseau à l'opposé du physique léonin plus généralement adopté dans les autres versions. Encore une fois, Herz marque sa différence, son territoire : celui d'un récit au romantisme plus tourmenté, malmené par cet instinct animal que la conscience de la Bête, cette petite voix intérieure au ton perfide très présente, cherchera sans cesse à faire valoir. Pourquoi ne pas céder à la douceur du sang ? Parce que Julie est belle, immaculée, qu'elle s'est rendue de son plein gré entre ces murs accablés et que son cœur répond à la part humaine de son hôte, tiraillé alors entre son besoin bestial de tuer et l'éclosion d'un sentiment inattendu : voici la Bête face à la force d'aimer. À partir de ce stade, Herz se permettra de commencer à éclaircir ponctuellement ses tableaux. Le piano pourra succéder aux orgues, Julie pourra endosser plus clairement le costume de princesse quand lumières et dorures pourront faire oublier ce décor de ruines pour quelques courts instants. C'est l'apparition du rêve contre le cauchemar et le soulignement de la notion de dualité dans laquelle le film s'inscrit tout entier avant que la noirceur ne reprenne sa place. Une noirceur un peu plus tard blanchie par la neige ; les contrastes se superposent et les antinomies s'opposent mais l'innocence de Julinka est à l'œuvre.


Voici donc une interprétation très personnelle, lugubre et raffinée d'un des contes les plus connus de notre culture - beaucoup plus bien sûr que Le neuvième cœur d'Hoffmann dont Herz tourna l'adaptation en duo avec la production critiquée sur cette page - dont le résultat est sans doute un des plus beaux bijoux de la riche parure de l'école fantastique tchèque de cette période.

Sachenka
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le 26 oct. 2024

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