Incontestable réussite artistique, la version de Cocteau garde intact son charme originel. Quoi qu'on puisse lui reprocher, le film n'a pas vieilli, ou si peu. Et s'il se coltine de grossières tares scénaristiques, elles étaient tout simplement là depuis le début.
Sans doute Cocteau s'est-il trop attaché à exprimer ses visions, plutôt qu'à habiter son histoire. Le résultat est une merveille plastique inaltérable, baignant dans un onirisme sombre qui laisse souvent pantois. Eclairé à la perfection, filmé avec grâce, le film atteint des sommets visuels renforcés par la folie et la créativité des décors et des costumes de Christian Bérard. Les sublimes thèmes musicaux viennent surligner avec sensibilité les émois des deux héros.
Malheureusement cela ne suffit pas à créer l'alchimie manquante entre Belle et sa Bête. Le scénario file tellement vite qu'on ne sent jamais rien d'autre que de la pitié dans les yeux de Josette Day, mais pas l'amour naissant auquel on veut nous faire croire. Probablement la tête ailleurs, Cocteau frise la caricature avec les personnages secondaires (au passage aucun d'entre eux ne s'est inquiété ou ne s'est bougé le cul quand Belle a pris la fuite et disparu pendant une semaine, sacrée famille), en particulier avec les deux horripilantes soeurs qui caquettent en permanence.
Non pas qu'on prenne du déplaisir à suivre l'histoire, cela dit, d'autant plus que Cocteau nous met dans le bain dès le générique en nous invitant de sa plume à retrouver notre âme d'enfant. En revanche, il est dur d'être indulgent face à une fin complètement foirée (le réalisateur lui-même a admis qu'il trouvait certaines critiques sur cette conclusion plutôt fondées). Belle s'envole sans la moindre pensée pour sa famille, même pas pour son père en train de crever. Rien à foutre. Moralement et scénaristiquement douteux donc, sans parler des explications fumeuses et de la polémique sur le double rôle de Jean Marais. Et ce n'est pas le fantastique et indélébile plan final qui y changera quoi que ce soit.
Malgré ces défauts, il faut quand même bien avouer que la machine à rêves de Cocteau fonctionne depuis 70 ans, et rien que ça c'est déjà un miracle en soi. Jean Marais livre une performance exceptionnelle en Bête, faisant montre d'une expressivité fantastique sous un masque qui lui couvre pourtant la quasi-totalité du visage. Il porte la charge émotionnelle du film avec le brio des très grands.