En neuf plans-séquences, dont les numéros nous sont assénés comme autant de coups sur la nuque, la réalisatrice tunisienne Kaouther Ben Hania nous entraîne, sur les pas de son héroïne Mariam (Mariem Ferjani), tout au fond de la nasse qui semble se refermer de plus en plus étroitement sur elle.
Nasse judiciaire qui se fait, séquence après séquence, nasse existentielle, puisque la réalité du viol que la jeune femme vient de subir peine à être reconnue. Et sitôt reconnue, risque de se retourner contre elle et de se convertir en danger puisque, le viol ayant été perpétré par des policiers, la victime entend porter plainte contre la Police, ce qui constitue aux yeux de cette institution une atteinte intolérable.
Par le rythme soutenu de son montage, fondé sur une alternance de plans-séquences - fonctionnant comme autant de siphons - et d'ellipses, par le travail sur les sons qui environnent la jeune fille et tissent autour d'elle le maillage d'une menace permanente, par l'ancrage temporel dans une nuit de plus en plus profonde, la réalisatrice excelle à créer un sentiment de pression (car il faut faire vite, avant que les traces du délit s'effacent) et d'oppression (car entre les lâchetés du corps médical et la solidarité presque sans faille de la "meute" policière qui traque la jeune femme et s'emploie, par tous les moyens, à la réduire au silence, le spectateur partage avec l'héroïne la rage et le désespoir de voir s'éloigner de plus en plus le rêve d'une issue simplement "juste"...).
Même la figure de l'ami, Youssef (Ghanem Zrelli), beau visage ouvert et calme, pareil à une sculpture assyrienne, en vient à vaciller, par moments, sur son socle, sous le coup des calomnies qui tentent d'ébranler Mariam dans sa conviction concernant le chemin à suivre.
Placé dès son ouverture dans la gueule du loup - l'espace fermé, carrelé de sombre, des lavabos d'une boîte de nuit -, le film n'accède à la lumière du jour que dans l'ultime plan. Le soleil inonde enfin le visage de l'héroïne, comme la promesse de la lutte qui pourra enfin se livrer.
Un film essentiel, donc, inspiré par un fait divers réel et par le livre qui l'a relaté. Avec son titre de conte cruel, il traite du problème, à la fois ancestral et jamais résolu, du droit des femmes, tout en projetant un éclairage plutôt inquiétant sur la Tunisie de l'après Ben Ali...