Jeune chienne ayant grandi dans le foyer d’un couple bon et attentionné, les Darling, Lady se fait reléguer à la seconde place lorsque naît un bébé dans la famille. Mais c’est lorsque les Darling partent quelques jours, laissant tante Sarah et ses deux affreux siamois garder la maison et le bébé, que Lady décide de s’enfuir d’un foyer devenu un véritable enfer. Sur son chemin, elle rencontre un chien errant, Clochard, qui va lui faire découvrir une vie de liberté, loin de tout foyer humain. Une vie dans laquelle l’homme est une menace constante…
Premier film produit par Buena Vista, société de distribution créée par Walt Disney mettant fin au contrat avec la RKO, et signifiant une indépendance vraiment complète pour le studio aux grandes oreilles, La Belle et le clochard est aussi l’occasion pour ce dernier d’adapter l’innovation technologique issue de l’invention modernisée d’Henri Chrétien et popularisée par la 20th Century Fox, le CinemaScope.
Offrant une largeur d’image alors inédite, le CinemaScope permet aux animateurs Disney d’agrandir considérablement les décors, déplaçant les personnages à l’intérieur de ces décors et non les décors derrière les personnages. Cela permet au film d’acquérir une fluidité exceptionnelle et renforce le soin apporté aux décors, qui se caractérisent ainsi par un souci du détail hallucinant, le dessinateur Claude Coats s’étant fortement inspiré de la superbe iconographie de Norman Rockwell pour retranscrire avec une exactitude étonnante l’ambiance de la Nouvelle-Angleterre des années 1910.
Si les décors font ainsi partie des plus réussis que les studios Disney nous aient offerts dans leurs longs-métrages animés, l’animation des personnages n’est pas en reste, Eric Larson (animateur de Lady), Milt Kahl (animateur de Clochard) et leurs collègues nous offrant un rendu absolument parfait, le réalisme des chiens n’empêchant aucunement un anthropomorphisme qui rend les personnages incroyablement attachants, chaque personnage étant proprement inoubliable, jusqu'au plus secondaire.
Mais la liberté artistique de La Belle et le clochard ne se limite pas à son aspect visuel époustouflant, elle se retrouve également dans un scénario qui est le premier à ne pas être adapté d’une œuvre littéraire, la revendication de la nouvelle Happy Dan de Ward Greene s’avérant davantage une lointaine influence qu’un véritable support d’adaptation. C’est peut-être en partie cette originalité qui permit aux créateurs du film de regagner quelque peu l’attention de Walt Disney lui-même, qui s’était peu à peu éloigné de la production des films précédents, davantage intéressé par son parc d’attraction que par ses films. C’est sans doute cette même originalité, qui permet aux scénaristes de faire évoluer leurs personnages comme ils le souhaitent, que le film doit son succès, non critique mais public, puisque les spectateurs n’ont plus les moyens de faire leurs puristes, n’ayant plus l'occasion de comparer le film avec le livre dont il est inspiré.
Dès lors, on ne peut plus que se laisser séduire par le charme total de La Belle et le clochard (dont le point culminant est évidemment la cultissime scène du repas chez Tony), qui entre dans le panthéon des grandes réussites du studio, étant peut-être le film du studio dont l’alchimie entre humour et émotion illustre le mieux la belle maxime de Walt Disney lui-même : « Pour chaque rire, il faut une larme. » Un principe malheureusement oublié par la plupart des films d’animation actuels (hors Pixar) qu’il fait bon de retrouver dans cet immense classique intemporel et incontournable qu’est La Belle et le clochard…