Il l'avait teasé sa belle histoire, déguisé en narrateur à la fin d' "Il y a des jours et des lunes" :
"Maintenant si comme dans les contes de fées il y a des vies ou on l'apprend à s'aimer et des vies ou l'on s'aime vraiment, alors le temps qui passe, qui passe aura peut-être envie un jour de nous raconter la belle histoire, celle qui ne voulait pas finir comme les autres"
Cette belle histoire, Claude Lelouch avait déjà commencé à la conter, il n'a même jamais cesser de la conter à travers tous ses films depuis "Un homme et une femme" en1965 avec les mêmes personnages parfois, ou avec d'autres dans d'autres lieux.
Ici la Belle Histoire se raconte à travers d'autres vies, à travers le temps. En abordant l'attachement, le cinéaste se rapproche également et c'est une première dans son œuvre, du grandiose et surtout du divin, la passion prend la forme d'une réincarnation, celle de deux personnages bibliques. La première scène déjà donne le ton, portée par les notes étourdissantes de "La valse à mille temps" de Brel, et par l'intensité du regard d'Odona (Béatrice Dalle) en transe devant une statue du Christ dont le visage, le temps d'un fantasme épouse les traits du visage d'un autre Jésus (Gérard Lanvin), gitan camarguais, dans les années 1990.
Evidemment, il faudra du temps, beaucoup de temps même dans notre monde réel pour que la providence dénoue les fils de l'histoire et réunisse (ou non) Jésus et Onoda, le temps pour Lelouch de nous emmener durant 3h22 dans un grand voyage, celui de la vie qui entremêle les destins d'une galerie de personnages réincarnés et attachants, cherchant leur voie dans cette vie là deux siècles plus tard. Ils sont tous là Simon, policier ancien geôlier de Jésus poursuivant de ses assiduités Onoda elle-même un peu amoureuse de Pierre commissaire -priseur ancien disciple de Jésus , Marie, Jésus bien-sûr, le camarguais amoureux depuis l'enfance de Marie Sara, la torera et découvrant un père qu'il n'a pas connu, pilier de sa famille, forain qui grâce à un coup du sort accédera à la richesse et peut-être au bonheur.
Certains destins, certains personnages sont moins palpitants, marquants que d'autres c'est vrai, certaines scènes sont un peu longues ou peut-être trop répétitives, mais il y a dans "La belle histoire" la quintessence du cinéma de Lelouch : des conteurs en voix off (Hubert Reeves, Lelouch) ou face caméra (Paul Preboist alias le professeur Tricot), de la musique accompagnant des scènes innovantes magiques (le flux accéléré de circulation place de La concorde au rythme encore de la valse à mille temps), de la musique, toujours, plus viscérale cette fois qui accompagne la fougue des toreros (c'est affreux à dire, mais les accords des Gypsi kings plaqués sur ces combats d'arènes donnent ici des scènes magnifiques...).
Trois heures vingt-deux de tranches de vie anodines jouées par des personnages, fragiles ou héroïques à leur manière, mais tous diablement attachants, trois heures vingt deux de séquences beaucoup moins communes également durant lesquelles le grand ordonnateur de ce "grand cirque" convoque l'épique, la résistance à l'oppression, le bien le mal. Le propos est parfois accompagné d'un brin de manichéisme, mais surtout réalisé avec beaucoup de sincérité, de foi en l'être humain.
Car depuis toujours, le bonhomme est un croyant, animé c'est certain par la foi au sens biblique du terme, mais aussi par une croyance qui place la pureté des sentiments au dessus de tout, Lelouch est un adolescent éternel, candide, habité par la passion.
* paroles de "La valse à mille temps"