La Berceuse de la grande terre par Gewurztraminer
Tourné lors de sa terne période 70s, La berceuse de la grande terre (1976) marque le retour en forme d'un Masumura que l'on croyait perdu dans des travaux de commandes bien éloignés de ses sphères thématiques fétiches. Formellement superbe, on y voit le cinéaste abandonner sa thématique de la passion 'adulte' pour trouver les rails d'un cinéma de la pulsion vitale semblable au traitement d'un Imamura. A travers le portrait de Rin, jeune fille de treize ans vendue dans une maison close insulaire, se dessine une vision de la jeunesse comme force animale balayant un monde adulte à l'ordre définitivement établi (les prostituées adultes résignées devant leur condition d'êtres exploités). Une pulsion qui tire sa source des éléments naturels : Rin prend sa force des éléments terrestres (elle 'communie' avec sa grand-mère décédée à travers le sol nourricier) et maritimes (la mer déchaînée comme catalyseur émotionnel lors de ses passes en bateau). Ainsi, la mise en scène naturaliste aux accents graphiques classiques évite le piège d'un formalisme vainement contemplatif pour constituer un arrière-fond fondamental se faisant l'écho des forces primaires animant le cheminement du personnage.
Porté par une actrice stupéfiante (Mieko Harada, vue dans Youth Killer la même année), le récit très cru au pathos appuyé évite pourtant le misérabilisme grâce à des ellipses subtiles et des flash-forward mélancoliques contrebalançant l'ensemble. Jouant sur l'opposition du sordide de sa condition de femme prisonnière (de son île) avec l'écho de son enfance encore proche (d'où le film tire son titre), Masumura met en retrait les enjeux sentimentaux (une romance éphémère cruelle et pathétique) et critique sociétale (la prostitution est un état de fait établi) devant les motivations enfouies de sa protagoniste agissant à vif, par instinct, débordement violent ou révolte contenue. Un portrait d'une jeunesse acculée qui définitivement increvable opte pour un bras d'honneur rageur et désespéré via un suicide symbolique (enchaîner les passes jusqu'à en devenir gravement malade). Une échappée nihiliste et irrationnelle qui s'achève vers une conclusion ouverte où la voie de la liberté semble se teinter d'un pessimisme amer.