Nous sommes en pleine guerre froide et juste après la crise de Cuba quand en 1965 lorsque Peter Watkins réalise La Bombe allias The War Game, un docu-fiction d'un peu moins d'une heure sur les conséquences d'un éventuel bombardement thermonucléaire sur l'Angleterre. Un film politique radical et enragé pour venir contrer de manière frontale un discours alors un peu trop angélique sur un armement trop souvent définit à cette époque comme propre et purement dissuasif.
Peter Watkins choisit donc la forme du documentaire caméra à l'épaule pour mieux venir frapper les consciences sur l'engrenage implacable et l'horreur d'un hypothétique conflit entre l'OTAN et l'URSS. Peter Watkins pointe également du doigt la relative ignorance des gens sur l'ampleur dévastatrice d'une attaque nucléaire et sur les moyens illusoires et ridicules de s'en protéger renvoyant par toute l'horreur de ce qu'il nous donne à voir aux images trop lisses de la propagande américaines dans lesquelles on se protège tranquillement d'une attaque atomique en se cachant sous une table et en fermant les yeux très très fort. The War Zone est sans aucun doute le film d'un pacifiste acharné qui souhaite frapper fort pour marquer définitivement les esprits du fer rouge de l'horreur.
En choisissant le noir et blanc et une forme proche du cinéma vérité avec le documenteur Peter Watkins renvoie par ses cadres et sa mise en scènes aux images d'archives les plus terrifiantes de la seconde guerre mondiale assurant à son film un impact viscéralement impressionnant. Le film ne possède sans doute pas le budget suffisant pour montrer à grande échelle l'impact destructeur d'une attaque atomique mais cela n'a aucune importance car Peter Watkins se concentre du coup à mettre en exergue l'impact d'un tel conflit et d'une telle déflagration à l'échelle strictement humaine. Et le constat effrayant que brosse Peter Watkins au fil d'un terrifiant calendrier ne se limite pas à l'impact immédiat de l'explosion mais aux conséquences à plus ou moins longue échéance sur une population civile se retrouvant alors première victime du conflit. Le réalisateur montre parfaitement combien une explosion atomique entrainerait dans ses funestes retombées les hommes vers l'horreur absolue avec corps brulés, maladies, famine, manque de soin et de personnel médical obligé de laisser mourir dans la souffrance les cas les plus désespérés, troubles psychologiques irréversibles, manque d'hygiène entrainant des épidémies , émeutes, crémation de masses des corps ne pouvant tous être enterrés dignement, psychoses diverses... La liste est aussi angoissante que monstrueusement longue. Mais il est important de se souvenir qu'avec The War Game Peter Watkins ne joue pas uniquement sur la peur irrationnelle du nucléaire en montrant une réalité alarmiste et dramatiquement assombrie, il se contente simplement de filmer au plus prêt les conclusions de médecins, militaires , scientifiques et témoins d'Hiroshima et Nagasaki , il donne à voir l'horreur d'une attaque thermonucléaire pour finalement donner à réfléchir sur une vérité fatalement bien plus crue et dérangeante que celle de tous les discours officiels de cette époque.
The War Game est un moyen métrage coup de poing aux images inoubliables comme ce lent traveling sur les visages calcinées de corps alignés sur un trottoir les têtes rejetées en arrière baignant dans le caniveau; ses visages d'enfants aux regards définitivement perdus dans l'horreur, cette fumée noire des corps brulés s'élevant dans le ciel... Les images sont si réalistes et si proche du documentaire qu'elles font souvent tomber la distance entre le spectateur et l'écran, qu'elles empêchent de se cacher derrière l'idée confortable que rien de tout ceci n'est tout à fait vrai.
Même si il faut remettre le film dans son contexte de guerre froide et de courses à l'armement atomique dissuasif, The War Game demeure encore aujourd'hui une formidable mise en garde contre la connerie humaine qui en appuyant sur un simple bouton pourrait faire retourner la civilisation vers l'horreur de nos pulsions de survie les plus animales ; ce n'est pas un film utile c'est juste un chef d'œuvre indispensable.