C’est le quatrième film de Hang Sang-soo à sortir en quelques mois en France, et il semble un peu plus anecdotique que ses autres réalisations. Mais ce genre de film est attachant : j’aime beaucoup ces films ostensiblement faits « à l’arrache » (certaines prises son sont vraiment pas très bonnes, sur un plan, des enfants font coucou à la caméra), presque pour le plaisir. Dès lors, le film, par son contexte de production et de tournage (15 jours à Cannes) semble plus léger, plus drôle. Mais à quoi tient l’humour de HSS dans ce film ?


Son humour est méta, presque autofictionnel. Le réalisateur dont il est question s’appelle So (presque Soo), a eu une aventure avec Manhee le personnage joué par Kim Min-hee (et HHS vit avec Min-hee (presque Manhee) depuis quelques années), et a réalisé Yours and yourself (film de HSS) dont on voit une affiche au début du film. Certes, ce n’est pas hilarant, mais il est amusant de voir un réalisateur jouer avec son image pour donner de la matière à son film. Amusant, mais pas seulement : ce parti-pris peut faire écho à la volonté « d’être honnête dans la vie pour ne pas mentir au cinéma » affirmée dans le film, et aussi d’être capable de se moquer de soi-même avant de pouvoir parler des autres.


Le film tire son humour des situations. Son schéma est entre celui du marivaudage et du théâtre de boulevard : Isabelle Huppert rencontre par hasard le réalisateur et sa maîtresse, et permet de les réunir. Surtout, certaines scènes de discussions sont très drôles : l’étrangeté de ces plans vient de leur lenteur et de leur capacité à (distordre) le temps. Ainsi, en un seul plan, le film montre le licenciement de Manhee et sa réaction saugrenue : elle prend un selfie avec son ex-patronne et caresse un gros chien avant de prendre acte de la situation. Plus tard, lorsque So est ivre, il quitte sa femme, ils se disputent, ils se réconcilient, ils pleurent dans les bras l’un de l’autre : tout ça en un plan.
Ou encore, la chanson des chiffres, mignonne parce que complètement nulle, entonnée par Manhee : quelques moments absurdes semblent sortis de nulle part, mais ils ont finalement du sens si on considère que Manhee, à ce moment du film, ne sait plus exactement où elle en est.
Enfin, Isabelle Huppert est naturellement drôle, quand elle le veut.


Mais HSS montre qu’une bonne comédie est une tragicomédie : derrière l’humour des situations surgissent des drames intimes d’autant plus saisissants qu’ils prennent le spectateur à froid. Comme la colère de So à propos de la tenue de Manhee qui est incongrue dans la logique de la scène, et qui semble révéler le ridicule d’un homme frustré et jaloux, mais qui en fait montre la détresse d’un homme amoureux ; tout comme on ne peut dire que Manhee soit ridicule : elle est d’autant plus touchante, parce que paumée.


Hong Sang Soo dit toujours justement la nature de la logique émotionnelle : il est très fort pour montrer, au cœur d’un dispositif modeste et « honnête », comment on passe d’une émotion à une autre, puis de cette émotion à encore une autre, ou comment on passe du rire au larme au rire, ou du rire au rire aux larmes, ou des larmes au rire aux larmes, etc.

TomCluzeau
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le 10 mars 2018

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Tom Cluzeau

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