A chaque semaine son Howard Hawks ! Après Rio Bravo il y a un petit moment, le moins connu Train de luxe il y a deux semaines, et un autre western assez cool (avec John Wayne), La Rivière Rouge, la semaine dernière, attaquons-nous aujourd’hui à La Captive aux yeux clairs.
Sorti en 1952, il s’agit plutôt d’un film de fin de carrière pour le réalisateur, qui ne tourna ensuite que trois autres westerns : Rio Bravo en 1959, El Dorado en 1967 et Rio Lobo, son dernier film, trois ans plus tard.
La mise en production de La captive aux yeux clairs (The Big Sky pour son titre original) vise notamment à sauver de la banqueroute le studio RKO, qui a connu son âge d’or dans les années 1930 et qui fait face vingt ans plus tard à de grosses difficultés financières. Howard Hawks, qui s’est fait un nom dans le paysage hollywoodien et enchaîne alors les succès, décide d’aider son ami et patron du studio Howard Hughes, et de mettre en chantier son second western sous la bannière RKO (après La Rivière Rouge quatre ans plus tôt).
Howard Hawks, en quête d’un récit d'aventure sur l’histoire des Etats-Unis, adapte le début du roman éponyme de A.B. Guthrie.
La petite histoire derrière l’exploitation du film est très intéressante : le film avait vocation à sauver le studio, et les premières semaines d’exploitation étaient franchement positives. Mais dans une perspective purement commerciale, le studio prend rapidement la décision de couper 12 minutes du film. En effet, avec un métrage réduit à 1h50, on gagne une séance supplémentaire chaque jour. Pour les cinéphiles, cela peut sembler une hérésie, mais cette limite des 1h50 est bien connue des professionnels de l’exploitation cinématographique, et malheureusement cette pratique est encore largement utilisée aujourd’hui : il n’est pas rare que certaines scènes soient coupées – au détriment parfois de la compréhension de l’intrigue – ou que les génériques soient légèrement accélérés pour grapiller de précieuses minutes.
Quoi qu’il en soit, cette décision du studio eu l’effet inverse : au lieu d’augmenter son public en multipliant le nombre de séances, les spectateurs boudèrent alors le film, qui devint un échec commercial. Avidité, quand tu nous tiens…
Fort heureusement, la version disponible désormais, notamment en DVD et Blue ray, est celle non charcutée du film.
Celui-ci démarre par la rencontre de deux joyeux lurons, cowboys bagarreurs qui reviennent rapidement amis. Nous sommes en 1832, les deux gaillards débarquent dans la ville prospère de Saint Louis, territoire où l’on parlait à l’époque français. Les voilà bientôt embarqués dans une expédition remontant le fleuve Missouri, à la recherche des Indiens Pieds-noirs avec lesquels ils souhaitent commercer. Un voyage de plusieurs milliers de kilomètres – ils sont les premiers à vouloir remonter le fleuve aussi loin – à travers des territoires ennemis tantôt dirigés par une féroce compagnie commerciale de fourrures, tantôt par les Indiens Cows.
Ce qui rend les hommes confiants dans leur entreprise d’établissement d’une nouvelle route commerciale, c’est la présence dans la cale de leur bateau d’une jeune indienne Pieds-noirs, fille de chef de clan, sauvée des mains des Cows quatre ans plus tôt. C’est évidemment elle qui donne au film son titre.
La captive aux yeux clairs n’est pas à proprement parlé un western pur jus. Il emprunte beaucoup au genre du film d’aventure. On pourrait le décrire comme un road movie fluvial, au même titre que des films comme Mission ou, dans une moindre mesure, Apocalypse Now. Une narration « par étapes », tour à tour lentes ou impétueuses, à l’image des méandres du fleuve et des complications qui surviennent en travers de la route de nos explorateurs.
Hawks maîtrise ici la mise-en-scène à la perfection. Celle-ci est discrète, mais d’une efficacité redoutable. Les choix de cadrages – tantôt en plans resserrés sur les visages, tantôt en plans larges sur les paysages et les berges du fleuve – sont judicieux et donnent au film cette dualité de rythme évoquée plus haut.
Par ailleurs, le scénario – plutôt simple – est bien ficelé et donne à chaque personnage une profondeur et une trajectoire appréciable. Les relations entre les personnages évoluent au fil de l’eau et des coups durs, sans jamais verser dans la dramatisation outrancière.
Enfin, l’un des grands points forts de La captive aux yeux clairs est le jeu d’acteur. Que ce soit Kirk Douglas dans la peau de Jim Dickens, Dewey Martin (sans doute dans son rôle le plus connu) dans celle de l’acolyte Boone, ou bien Elizabeth Threatt (dont c’est l’unique film) incarnant la jeune indienne captive du nom de Teal Eye, tous sont d’une sensibilité parfaite.
La captive aux yeux clairs est donc un western lorgnant du côté du film d’aventure, d’une grande qualité aussi bien dans la forme que dans le fond. Un film empreint d’optimisme, de joyeuses chansons françaises accompagnées au bandonéon et de franche camaraderie, qui nous fait voyager avec grand plaisir dans des territoires inconnus.