« La Captive aux yeux clairs » est un des westerns d’Howard Hawks, réalisé en 1952. Un peu à l’image de son chef d’œuvre « La Rivière rouge », il s’intéresse ici à la vie et au voyage de pionniers qui ont fait l’ouest américain. Délaissant les grands troupeaux pour le nord-ouest sauvage, le réalisateur nous propose de suivre l’épopée de commerçants français de Saint-Louis, qui entreprennent de remonter le fleuve pour aller traiter avec les Indiens.
Nous assistons d’abord à la rencontre de deux trappeurs, Jim Deakins et Boone Caudill, qui se lient vite d’amitié et font route ensemble. À Saint-Louis, ils retrouvent l’oncle de Caudill, un homme rude, un peu rustre, mais très aguerri, du nom de Zeb Calloway. Calloway a été engagé comme guide et interprète par le français Jourdonnais, qui monte une expédition en territoire Indien pied-noir – là où aucun blanc ne s’est encore aventuré. Deakins et Caudill rejoignent l’équipage, et le bateau entame son dangereux périple…
Avec l’habileté qu’on lui connaît, Hawks s’attèle avec soin à la reconstitution d’une ambiance très réussie, et rend immédiatement ses personnages attachants. Son souci du détail est proverbial, et lui permet de faire de ses scènes de véritables tableaux de vie de ces pionniers. Usant volontairement d’un rythme très lent, Hawks alterne séquences calmes ; où l’on dialogue au coin du feu, par exemple, et scènes d’action vitaminées. Tout amateur du style de Hawks, en particulier de « La Rivière rouge », sera ravi de retrouver la patte caractéristique du réalisateur, et appréciera ces scènes qui nous immergent dans l’ambiance et nous font partager le quotidien des personnages.
Ceux-ci sont écrits avec intelligence et variété, ce qui donne lieu à une vraie richesse, dans le sens où l’on a au moins quatre personnages intéressants, fouillés et différents. La paire formée par Deakins et Caudill suit la trame classique du duo dépareillé, offrant un contraste amusant, mais lié par une solide amitié. Evidemment, Dewey Martin ne peut que faire pâle figure à côté d’un Kirk Douglas des grands jours ; large sourire, charisme animal, nonchalance assurée : Kirk crève l’écran et en impose, offrant un nouveau type de héros au western encore trop peuplé de John Wayne monolithiques.
Hawks est aussi l’un de ces réalisateurs qui portent une attention particulière au développement de personnages féminins forts et intéressants, en particulier dans ses westerns. Si Joanne Dru ne bénéficiait que d’un temps d’écran limité dans « La Rivière rouge », son rôle se révélait néanmoins aussi prometteur que nécessaire. Dans « Rio Bravo », en 1959, ce sera au tour d’Angie Dickinson de camper une autre de ces femmes fières et indépendantes. Ici, c’est la fille de chef indienne, Teal Eye, qui donne son titre français au film – le titre original, « Big Sky », fait plutôt référence à l’immensité de la nature. Plus présente que Joanne Dru, plus farouche et débrouillarde qu’Angie Dickinson, le personnage, joué par Elizabeth Threatt, dont ce sera le seul film, cette princesse aux yeux bleus est l’un des personnages les plus captivants du film. Tour à tour objet de méfiance, de fascination et d’adoration, elle est capable et dangereuse, sauvant bien souvent les héros masculins par ses compétences et ses relations.
Sur le plan du formalisme, le film de Hawks est aussi une franche réussite. Les paysages, filmés dans les grands parcs nationaux américains, sont magnifiques. Le noir et blanc, photographié par Russell Harlan, n’est toutefois pas à la hauteur de la perfection atteinte par « La Rivière rouge », mais demeure sobre et élégant. La musique est signée Dimitri Tiomkin et ressemble d’ailleurs par moments à celle qu’il composera l’année suivante pour « High Noon », qui lui vaudra la reconnaissance qu’il mérite.
Avec « La Captive aux yeux clairs », Howard Hawks signe une nouvelle épopée de personnages, un nouveau road-movie. C’est un film d’aventure, où l’on surmonte les obstacles qui se dressent sur la route de l’équipée, mais qui porte un soin tout particulier au détail, rendant chacune des scènes crédible et intéressante. C’est un film de personnages, où l’on s’intéresse à chacun à part égale, et où tous participent à ce bel ensemble. C’est un film de voyage, une belle odyssée où, pour une fois, le point d’arrivée est aussi important que le chemin emprunté.