Lors d’une séance de dédicace, Ingrid apprend que Martha, une amie qu’elle n’a plus vue depuis longtemps, est hospitalisée, victime d’un cancer avancé. Après avoir renoué avec elle, celle-ci lui demande d’être à ses côtés le jour où elle aura décidé de s’en aller.
« Tout s’est bien passé », s’entendait dire Sophie Marceau en apprenant la disparition volontaire de son père de fiction devant la caméra engagée de François Ozon. Après la douleur et la gloire, Pedro Almodóvar s’empare à son tour du sujet délicat qu’est le suicide assisté. Loin du pamphlet attendu et comme pour en exorciser la peine, il l’enferme dans un écrin précieux aux couleurs flamboyantes. Canapé bleu, frigidaire menthe, transat vert, voitures écarlates. Ne manquent plus que le rouge des lèvres et le jaune du tailleur, teintes espagnoles si vives, pour dire adieu. Dans son premier film aux Etats-Unis, l’Ibère orne New York de fleurs, l’enrobe de lumière et saupoudre la ville de neige. Si cette signature esthétique farde l’ensemble, elle freine parallèlement les émotions brutes et spontanées. En ce beau luxueux, l’art est essentiel. Littérature, films, musique et peinture nourrissent les échanges entre Juliane Moore et Tilda Swinton, rousse et blonde en parfaite harmonie. A quoi bon lutter quand cette richesse enveloppante devient inaccessible pour le corps et l’esprit. Hopper s’affiche au mur, quand un œillet en sang symbolise le deuil et l’amour éternel. Ne pouvant s’en empêcher, l’espièglerie du réalisateur s’exprime dans les digressions racontées au passé qui élèvent le sexe comme un bouclier contre la guerre et la peur de mourir. Et c’est de la bouche d’un ancien amant partagé que la dénonciation désespérée d’un monde menacé par un néolibéralisme forcené, la montée des extrêmes et les désastres climatiques vient perturber la quiétude affichée. Afin de contrer ce fatalisme et d’éviter les excès mélodramatiques, il convient de souffrir en silence, sans culpabiliser l’autre, et attendre l’heure avec confiance. Une montée d’escaliers et une simple porte fermée développent malgré tout un suspens hitchcockien sur la musique du fidèle Alberto Iglesias. Autres éléments inquisiteurs, la police et la foi. Mourir dignement demeure encore un crime dans la plupart des pays, préférant laisser la victoire à la déchéance. Dans un ultime clin d’œil, Almodóvar s’en accommode grâce à la magie du cinéma. Ainsi ressuscite-t-il une actrice.
(8/10)
cinefilik.wordpress.com