Pour Almodovar, c’est l’heure du bilan : plus que jamais, son nouveau film est axé, non pas exactement sur la mort, mais sur la fin de vie, ce moment où on regarde une dernière fois derrière soi et où on fait les comptes. La première partie du film est ainsi composée de plusieurs flash-backs, son héroïne (interprétée par Tilda Swinton) confiant à une amie qu’elle revoit pour la première fois depuis des années (Julianne Moore) des épisodes marquants de sa vie. On peut ensuite se diriger vers une deuxième partie qui montre les préparatifs de la mort - et le cinéaste, à cette occasion, dévoile ici son engagement en faveur de l’euthanasie, de façon un peu trop explicite par ailleurs.
Bien qu’il ne s’agisse pas exactement d’un film sur la vieillesse (les héroïnes sont encore relativement jeunes), c’est bien ici un vieil homme qui étend son regard sur ce qui l'entoure : on contemple, on marche doucement, on déballe ses regrets par rapport à sa descendance (Martha s’en veut de ne pas avoir été une mère pour sa fille) et au monde qu’on lui laisse (un ancien amant des deux femmes se lance dans un long discours paniqué sur les catastrophes écologiques à venir, et de la neige tombe en avril, symbole d’un dérèglement climatique évident). La mort finit par venir, bien sûr ; mais c’est plutôt « l’avant » qui intéresse le réalisateur, opposant une femme déterminée à en finir, à une autre à qui ce destin funeste (pour elle et pour les autres) donne des sueurs froides. Douleur physique de la maladie pour l’une, douleur morale d’aider une amie à partir pour l’autre.
Ce récit des derniers instants se voudrait introspectif et parvient, quelquefois, à émouvoir. Deux plans, en fait, laissent exploser l’émotion attendue : le gros plan sur le visage de Martha, allongée dans son lit, derrière lequel vient se mettre le visage bienveillant d’Ingrid, façon de souligner l’ambiguïté de leur relation ainsi que le côté ange gardien de la seconde sur la première, qui accepte son choix et l’accompagne sans la juger. Et le dernier plan, un plan d’ensemble sur la villa, où Ingrid et Michelle, la fille de Martha, sont allongées sur deux chaises longues et contemplent les flocons, le tout sur une musique mélancolique ; on comprend ainsi leur acceptation de la mort, du cycle de la nature qui ramène l’humain à la terre.
Malheureusement, le reste du film sonne assez faux : les protagonistes enchaînent les dialogues qui surexplicitent leurs sentiments, se répètent ce qu’ils se sont dit ou ont dit à d’autres dans des scènes précédentes (autre effet de la vieillesse : le radotage…), et partent dans des envolées trop littéraires pour être honnêtes. Leurs longues tirades pourraient passer dans un roman, comme monologue intérieur, mais dans un film, elles deviennent insupportables à force de marteler des états d’âme sans nous les faire deviner. Peu de non-dit, dans cette « chambre d’à côté », aucune dissimulation, rien qui se laisse entendre : tout est clair comme de l’eau de roche. A cela s’ajoutent ces flash-backs beaucoup trop longs de la première partie, qui n’apportent finalement pas grand-chose à la trajectoire des deux femmes, mais semblent surtout là pour meubler la discussion. Et pire que tout : où est passée la fantaisie almodovarienne ? Certes, la patte du cinéaste est toujours là, quand on y regarde bien : des décors soignés, des taches de couleurs jaunes et rouges, une cinéphilie étalée sans trop de prétention. Mais elle ne saute plus aux yeux. Après des films drôles, transgressifs, charnels, Almodovar nous propose un film où on va faire des promenades au parc, où on pleure à la salle de sport, où on s’extasie sur le design de la maison qu’on a louée, où on parle littérature…du cinéma pantouflard. Du cinéma de petit vieux enlisé dans sa routine. On comprend, certes, qu’un réalisateur puisse vouloir faire un film calme pour parler des derniers instants de vie. Mais calme ne veut pas dire terne, et surtout, quitte à faire un film contemplatif rempli de petits riens, autant y être moins bavard et savoir faire passer les émotions autrement que par de grands discours pompeux. Trop banal pour nous éveiller, mais aussi trop verbeux pour nous apaiser, « La chambre d’à côté » finit par se vider de tout ce qu’il avait à proposer pour un résultat très inégal. En espérant qu’Almodovar ne prenne pas le mauvais virage de certains confrères (Allen, Polanski) et nous revienne plus en forme.