Quelle élégance ! Tout est non seulement sublime mais sublimé, dans ce film, par le cinéaste espagnol. Le dernier Almodovar est un nouveau coup d’éclat dont j’ai toujours l’impression que le dernier film qu'il réalise est son meilleur. Bien meilleur que le précédent. C’est sans compter sur le prochain. Il met la barre toujours plus haut.
Le sujet n’est pas gai : Martha est atteinte d’un cancer de l’utérus de stade trois. Malgré les chimiothérapies et les traitements révolutionnaires d’immunothérapie, la situation est sans appel. Plutôt que de subir une mort indigne, elle choisit de se suicider avec panache. Elle opte pour une mort haute en couleur et propose à son amie Ingrid de l’accompagner.
Martha souhaite mourir dans un lieu divin, que ni l’une ni l’autre ne connaissent. Elles partent en voyage, en quelque sorte, un voyage all inclusive organisé par Martha, excepté les extras que se réserve Ingrid (une salle de sport, par exemple).
La suite ressemble à l’histoire de deux femmes peintes par Edward Hopper dans leur maison isolée, graphique, verticale et horizontale, toute en lignes et en baies vitrées, hyper-moderne et épurée, au cœur d’une forêt fantastique où seul le chant des oiseaux, chaque matin, donne le tempo. Martha choisit la chambre vue sur le paysage somptueux, à l’étage et Ingrid, au lieu de se résigner à la chambre d’à côté, privilégie celle d’en bas.
Celle d'à côté, c'est un peu comme si Pedro Almodovar décidait qu'elle serait la nôtre, en toute discrétion.
Les deux femmes ne se sont pas revues depuis des années : c’est l’occasion pour elles de passer en revues leurs souvenirs et de rassembler les morceaux éparpillés du puzzle de leur passé commun. Nuls regrets, nuls remords. Elles assument tout, de leurs flash-back, avec classe. Elles ont privilégié leur carrière : Martha, reporter de guerre, a vécu comme un homme, délaissant sa fille. Ingrid, écrivain, n'est effrayée que par la mort. Elles se sont partagé un homme, resté fidèle à l’une et à l’autre. Au fur et à mesure des jours, la confiance et le respect entre elles évoluent, plus intimes et solides.
Martha et Ingrid sont deux merveilleuses amies, ce genre d’amies nécessaires à une existence suprême et accomplie. Toutes deux, en quête d’absolu. Une franchise et une flamboyance jusque dans les couleurs qu’elles portent : vert sapin, jaune citron, orange, violet, rouge ardent. C’est lumineux, drôle et généreux. En fait, les dialogues qui tissent leur complicité sont si justes, sans temps mort ni accroc, qu’on pourrait croire que le réalisateur a choisi non pas deux excellentes actrices qui interprètent deux amies, mais deux amies indéfectibles auxquelles il a proposé de vivre leur connivence tout naturellement, sans tenir compte des caméras disposées ici et là. De sorte que même les gros plans des visages de Tilda Swinton et de Juliane Moore, qui parfois accaparent l’intégralité de l’écran large, sont d'une authenticité éclatante. C'est comme si on fixait le visage d’une amie très proche dans la vraie vie, au seuil d'un événement fondamental à l'issue duquel le reste de notre existence en sera changé, pour le meilleur.
Last but not least, les dialogues sont autant d'opportunité pour Pedro Almodovar de glisser deux ou trois réflexions subtiles sur le climat, le confinement, la culture, un monde qui change et qui nous oblige à nous réinventer.
C’est du Almodovar, mais upgradé.
Un Almodovar arty, art contemporain et new-yorkais, intelligent, design et d'un chic fou.