Almodovar a trouvé un équilibre subtil dans son adaptation cinématographique du roman "Quel est ton tourment ?" De Sigrid Nunez. Je dois dire que j'étais assez confiant quant à sa capacité à transcrire à l'écran ce dialogue intime et existentiel. Il est à la fois fidèle au texte et en accord avec lui-même, puisque le texte lui donnait une grande latitude d'interprétation, littéralement de coloration du récit. Il se pourlèche en s'appropriant l'univers esthétique d'Edward Hopper (dont une œuvre apparaît dans le film), qui semble servir de trame à l'ensemble de sa mise en scène.
Ses partis pris ont cependant conduit à abandonner certains éléments présents dans le roman : d'une part la distanciation présente dans les commentaires de la narratrice, Ingrid, qui commentait, critiquait, s'amusait en aparté, de ses propres maladresses, issues - comme devant un premier rideau - d'une expression spontanée dans ses dialogues intimes avec son amie ; d'autre part, Sigrid Nunez avait donné une place toute particulière à un portrait imposant acheté par les propriétaires de la maison que les amies allaient occuper, ce portrait allait donner lieu à diverses conjectures, au départ plutôt ironiques, et vers la fin presque affectueuses, cette relation des personnages envers cette oeuvre figurative disparaît complètement du film, alors que cela aurait pu avoir un caractère très cinématographique. En effet Almodovar a privilégié la coloration et l'imprégnation de son cinéma par l'œuvre d'Edward Hopper, et le portrait a été remplacé par une reproduction de l'un des tableaux du peintre.