Dans un geste cinématographique précis, doux et lumineux, Pedro Almodovar s’empare de la question du droit à mourir dans la dignité et délivre un mélo puissant et admirablement maîtrisé.
Loin du style flamboyant qui l’a longtemps caractérisé et qui accompagnait parfaitement ses combats d’antan, le réalisateur espagnol déploie une mise en scène apaisée, comme si lui-même voyait sereinement la fin approcher.
On ne sait pas comment Ingrid et Martha se sont rencontrées, quel fut leur trajectoire commune, seulement qu’elles furent de très proches amies et que leurs carrières les ont éloignées l’une de l’autre. On apprend peu de choses d’Ingrid, à peine plus de Martha (par quelques flash-back). Mais malgré ces ellipses dans le parcours des deux femmes, leurs retrouvailles sonnent comme une évidence et leur lien quasi sororal se double d’un sentiment d’urgence dû à la décision de Martha.
Leurs dialogues pourraient être rébarbatifs et larmoyants mais c’est tout l’inverse. Leurs discussions, triviales ou profondes, sont passionnantes, qu’elles abordent leur statut de femme, la maternité, la famille, leur travail de romancière ou de reporter de guerre ou encore le sexe. Et évidemment la fin de vie. Almodovar adopte une sobriété bienvenue pour traiter le sujet. Sa réalisation est délicate et épurée mais néanmoins méticuleusement pensée. La Chambre d’à côté prouve une nouvelle fois à quel point son cinéma est pictural et visuel, armé d’une science du plan fascinante. Capturant les poses et les regards, sa caméra produit autant de tableaux inspirés de l’art moderne américain (Hopper est cité à propos). C’est très beau, mais pas clinquant.
La Chambre d’à Côté est aussi et surtout un film de (grandes) actrices, une démonstration éclatante de l’amour du réalisateur pour ses comédiennes. Il offre deux rôles en or à Tilda Swinton et Julianne Moore, et les filme avec passion, tendresse et admiration non feinte. Et elles le lui rendent bien. Elles sont en état de grâce, complices et bouleversantes de retenu, Swinton frêle mais le regard déterminé, Moore, solaire et monstre de bienveillance. Les voir échanger est un régal, une imparable leçon d’acting.
Lumineux malgré son sujet écrasant, introspectif probablement, La Chambre d’à Côté est le film d’un réalisateur conscient de sa propre finitude, mais en paix avec cette idée. Si la mort hante cette œuvre crépusculaire, elle est aussi et paradoxalement une célébration du vivant et de ce qu’on a vécu. Et c’est magnifique.