La Chambre des Officiers n'est pas un film à proprement parler de guerre. il n'y a qu'une scène de combat, de quelques secondes, au tout début du conflit. Un obus tombe à quelques centimètres de l'officier, sur son cheval, portant fièrement son uniforme. Et puis c'est tout. Nous ne reverrons jamais directement la guerre et les tranchées. Pour l'officier, grièvement blessé au visage, la guerre, en tant que telle est finie, mais c'est un autre combat qui commence, celui de la rémission, durant des années, aux Invalides, dans La Chambre des Officiers.
Il est défiguré. Il ne peut plus parler, mais pire encore, il sait, lorsqu'on le regarde, horrifié, sa laideur, sans pouvoir la saisir. Il n'est plus lui. La guerre a changé son visage, littéralement, labouré par les obus. C'est une gueule cassée. Le film tarde à nous montrer son visage. Il se focalise sur des impressions, sur une subjectivité, sur une intimité troublante et terrible à la fois. Un homme qui ne se reconnaît plus dans la glace ne s'appartient plus. Comme si la guerre l'avait arraché à lui même et qu'il en épousait à présent le visage laid et étranger, masque terrible dont il ne peut se départir.
Pourtant, le film n'est pas fondamentalement pessimiste, car dans la chambre, c'est l'homme traumatisé par la guerre qui, lentement, se relève. Il découvre qu'il n'est pas seul. Le médecin (Dussollier, toujours juste) l'infirmière et d'autre mutilés l'aident à revivre. Mais, il le sait, la guérison sera difficile. Un de ses amis lui rend visite. Il est répugné. Sa soeur, en le voyant, au bout de plusieurs années, fond en larme. Sa mère ne l'acceptera jamais, son enfant ne lui ressemble plus. Pourtant, lentement, l'officier récupère l'usage de la parole, ses cicatrices se referment. Son visage s'apaise. Il pense à se tuer, dans ce désespoir qui frappe les jeunes gens défigurés. Il ne pourra plus jamais plaire, lui, lui qui était un homme à femmes. Et pire encore, il n'est plus lui. Lorsqu'il sort de l'hôpital il retrouve son ancienne maîtresse. Mais elle ne le reconnait pas. La désillusion est terrible. La réalité est cruelle. Alors, on lui offre la Légion d'Honneur, pour le coup vraiment troquée et abérrante, une sorte de consolation pitoyable. Mais, l'amour n'est pas mort. Lorsqu'il prend le métro, un jour, alors que la guerre est finie depuis longtemps, une petite fille est effrayée par son visage. Mais, il se met à lui faire une grimaçe. Et ce visage, dont les sillons atroces sont comme le souvenir indélébile des tranchées, devient tout à coup comique, touchant, humain. Il est guérit. Sa guerre était toute psychologique, celle de l'acception de soi, de la perte de la beauté extérieure pour la beauté de l'âme.
Un film de guerre - ou plutôt sur la guerre comme on en fait plus. Le film le plus éprouvant, le plus difficile qui soit, sans une seule scène de violence, un combat tout intérieur. C'est l'art absolu de la suggestion. La guerre retranscrite en un visage, sublime et terrifiante métaphore, pleine d'espoir et de désespérance. Dans ces moments là, oui, j'aime le cinéma français, subtil et grisant à la fois, magnifiquement interprété et émouvant. Un beau devoir de mémoire, qui n'est jamais dans la lamentation mais dans l'espérance, le combat et l'abnégation. Une parabole de la vie, résumée en une grande cicatrice sur le visage d'une belle gueule.