Le monument, c’est John Ford, plus de 100 films à son actif, et un cinéma humaniste qui a supporté comme peu le passage du muet au parlant puis du noir et blanc à la couleur. Le titre français lorgne vraiment du côté du western à tendance virile, ce qui est une erreur (monumentale ?) au vu du titre original qui montre bien que la relation entre les cavaliers et les personnages féminins est au centre du film. John Ford s’intéresse à l’action de la Cavalerie (et de ses anonymes parfois sacrifiés, comme les 200 et quelques morts de Little Big Horn), pour venir à bout de la coalition indienne forte de plusieurs milliers d’hommes où on remarque que les chefs historiques, les vieux manitous, risquent d’être débordés par la fureur des plus jeunes voyant les Yankees s’approprier leurs territoires de chasses. Justement, on observe à nouveau la présence d’un troupeau de bisons dans la région.


L’autre monument ici, c’est le décor. John Ford dispose du Technicolor alors que Monument Valley lui tend les bras. La rencontre est mémorable. Il y a le lieu avec ses espaces et son aspect caractéristique, la façon dont John Ford l’intègre naturellement dans le scénario (signé F.S. Nugent et Laurence Stallings) avec les couleurs et la luminosité ainsi que les jeux d’ombre et de lumière, une formidable séquence (entre autres) avec un Yankee isolé poursuivi par un groupe d’Indiens. Il y a aussi les uniformes et tout le décorum autour de la Cavalerie. La charge qui vaut son titre au film (version française) est remarquablement mise en valeur par un somptueux clair de Lune.
Le capitaine Nathan Brittles (John Wayne, sa voix, sa silhouette, sa carrure, le véritable porte-parole de Ford) est à 6 jours de la retraite. Le sergent Quincannon (inénarrable Victor McLaglen) lui sert en quelque sorte d'ordonnance et on sent dès leur premier tête-à-tête qu’il existe une vieille connivence entre les deux hommes. Après Little Big Horn (voir Le massacre de Fort Apache), si les Indiens profitaient de leur avantage, l'avancée U.S. vers l'Ouest serait compromise pour longtemps. Malgré l’antagonisme, il existe des accords entre l'armée Américaine (représentée par sa cavalerie qui occupe différents postes) et les Indiens.


Dans le fort Starke occupé par l'escadron de Brittles, la vie continue. Les lieutenants Pennell (Harry Carey Jr.) et Cohill (John Agar) courtisent Olivia Dandridge (Joanne Dru), la nièce du Major Allshard (George O’Brien). Olivia est romantique, séduisante, énergique et fière. La menace indienne justifie une nouvelle mission : escorter un convoi qui mènera Olivia et Abby (Mildred Natwick) l’épouse du Major Allshard en lieu sûr. Lorsque l'escouade sort du fort, miss Dandridge arbore un ruban jaune qui attache sa chevelure.


S’en tenir au titre français (qui fait référence à une séquence vers la fin) serait restrictif pour ce film. Il est certes dédié à la gloire de la Cavalerie U.S. et de ses traditions. Le titre original She wore a yellow ribbon montre que les intentions de John Ford vont bien au-delà, il est tiré d'une chanson qu'on entend dès le générique initial et qui illustre parfaitement tout l'humanisme déployé par John Ford. Cet humanisme s’articule autour du personnage de Nathan Brittles. Quelques scènes sont révélatrices :


Brittles est veuf et se recueille devant la tombe de sa femme avant de partir en expédition. Tout en utilisant un arrosoir de fortune, il parle à voix haute comme si elle pouvait entendre les nouvelles qu’il lui annonce : scène typiquement fordienne.


Brittles affiche une solidité inébranlable qu'il illustre par une sorte de maxime "Ne vous excusez-pas. Ce serait afficher une faiblesse". Cette phrase, ses hommes la connaissent par cœur et la finissent parfois en même temps que lui. Toujours conscient de l’attitude à adopter en tant que capitaine, il connaît parfaitement ses hommes. Il s'en défend, mais il considère certains plus ou moins comme ses propres fils. Quincannon (qui lui est à 3 mois de la retraite) est un colosse irlandais bagarreur et buveur de whisky (il a ses cachettes qu’il croit discrètes). Brittles le fait mettre aux arrêts à la suite d'une bagarre générale (situation récurrente dans le cinéma de John Ford) et demande qu'on l'y maintienne après son propre départ, afin qu'il ne risque pas d'autres ennuis.


La montre gousset que ses hommes lui offrent après s'être cotisés, Brittles la sort ensuite régulièrement en rappelant à chaque fois d'où elle provient. Bien qu’elle soit le symbole de sa retraite proche, il en est fier parce qu’il a été un cavalier méritant respecté par ses hommes à qui il le rend bien.


Brittles fait stopper un convoi après l’opération d’un homme blessé et fait une annonce officielle pour que tout le monde sache avant de repartir, que tout va bien. Etc.


Ce deuxième volet de la trilogie de la Cavalerie (tourné postérieurement et situé juste après Le massacre de Fort Apache) présente l’avantage de pouvoir s’apprécier indépendamment. Le scénario est à mon avis le point faible du film. Si les Indiens sont présentés comme une masse importante difficilement gérable à cause des nombreuses tribus pas toujours présentes là où on les attend, les actions de la Cavalerie laissent des zones un peu floues dans ce qui se passe et pourquoi.


L’interprétation est dominée par John Wayne et Victor McLaglen. Joanne Dru est charmante mais n’a pas le charisme de certaines vedettes de l’époque. Les lieutenants Pennell et Cohill sont un peu falots, leurs caractères et personnalités se dessinent néanmoins, avec les différences qui justifient les atermoiements de Miss Dandridge.


L’humour est très présent dans le film. Il y a les démêlés de Nathan Brittles avec toutes les procédures administratives de l’organisation militaire. Il y a les relations entre militaires (avec une scène où le sergent Quincannon se fait ridiculiser devant une escouade au garde-à-vous face à lui). Il y a l’attitude d’Olivia Dandridge qui arbore fièrement le ruban jaune signifiant qu’elle est amoureuse d’un des cavaliers, mais retardant à plaisir le moment de révéler le nom de l’élu de son cœur, allant même jusqu’à ironiser en disant qu’il pourrait très bien s’agir de Brittles lui-même.


L’ironie pratiquée ici par John Ford est de celle qu’on utilise vis-à-vis de ceux qu’on aime, parce qu’on sait qu’on peut se le permettre. Illustration typique avec l’alcoolisme de Quincannon, défaut d’un personnage que Ford défend malgré tout. Dans ce film personne n’est parfait (et Ford non plus), mais le réalisateur a un regard très bienveillant sur un milieu qu’il admire profondément. Son regard est chaleureux et même un brin nostalgique (voire patriotique avec un léger excès).

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le 13 juil. 2014

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