Ou comment un acteur d'exception permet à la chasse de ne pas rentrer bredouille...
Accueilli assez froidement par la presse au festival de Cannes, La Chasse s'est néanmoins distingué par le prix d'Interprétation Masculine décerné à Mads Mikkelsen. Le film est bien à cette image: l'acteur principal est le seul argument positif d'un récit engoncé dans des rouages extrêmement malhonnêtes.
Le scénario, programmatique et incroyablement prévisible, aligne les artifices poussifs pour permettre à Vinterberg de donner corps à ce qu'il souhaite pointer du doigt. En résulte une démonstration extrêmement rigide, qui donne un arrière-goût amer. Ici, la démarche de manipulation du spectateur n'est aucunement menée selon un principe ludique (comme chez Hitchcock), mais dans une logique de jugement. De manière totalement unilatéral, le spectateur est contraint de ressentir ce que Vinterberg veut qu'il ressente: sous couverts d'un récit à charges, le cinéaste annihile ainsi toute tentative de réflexion sur un sujet pourtant très fort. Les personnages sont prisonniers de cette structure effrayante de manichéisme: La Chasse, c'est la confrontation de l'homme bon et innocent contre la masse d'ignorants qui l'accuse à tort. La haine que Vinterberg voue à ces personnages, que dis-je, ces esquisses de personnages, plonge le film dans un climat de complaisance assez dérangeant, renforcé d'autant plus par le caractère invraisemblable d'un héros tellement digne que, malgré sa passivité étonnante, il n'hésite pas à se donner en spectacle plutôt que de fuir la situation (voir la scène du supermarché). Bien heureusement, Mads Mikkelsen, par son magnétisme, parvient à pallier la dimension monolithique du personnage, ce sans quoi le film sombrait dans l'inanité la plus totale. Quant au seul adulte de l'entourage du héros à ne pas être sacrifié au regard humiliant du cinéaste, à savoir le parrain de son fils, Vinterberg choisit d'en faire une sorte de châtelain élégant qui vit dans un manoir, comme si les gens aisés étaient les seuls dignes d'esprit critique, attribuant fatalement aux prolos le privilège de l'imbécillité. Dans ses détails, le film est également victime d'une incohérence problématique: par son dispositif, Vinterberg s'acharne à présenter la condamnation révoltante d'un innocent par des ignorants, tandis que dans le même temps certains éléments bénins amènent un sentiment de doute diffus mais jamais développé (les regards insistants de Mikkelsen sur la petite fille, l'ombre du père dans la chambre). Un peu comme si le cinéaste avait pris conscience de l'unilatéralité de sa démarche, et s'était décidé en dernier recours à semer le trouble par de menus éléments. Finalement, en ne prenant ni le parti de l'ambiguité, ni celui de la transparence, il ne fait que s'adonner à un exercice de style roublard et invraisemblable.
Si Mads Mikkelsen parvient miraculeusement à préserver un quelconque intérêt, La Chasse reste une dissertation laborieuse sur la folie aveugle des foules qui, sous les apparats bien confortable du film à charges, masque en réalité une vision du monde binaire et pestilentielle. Sur un sujet similaire, mieux vaut redécouvrir Furie (Fritz Lang) ou Scènes de chasse en Bavière (Peter Fleischmann) qui, au-delà de leurs qualités intrinsèques, ont au moins le mérite de l'honnêteté.