Thomas Vinterberg est l’un des chefs de file du cinéma scandinave de ces vingt dernières années, avec Lars Von Trier et Nicolas Winding Refn (qui s’est depuis tourné vers le cinéma américain). Notamment connu pour son Festen (1998), drame familial en huis clos, théâtre de règlements de compte cinglants, le réalisateur danois revint en trombe en 2012 avec La Chasse, notamment sélectionné en compétition officielle au Festival de Cannes. De bon augure ? Pour être franc, je n’en attendais pas tant !
Si la lecture préalable du synopsis ne put m’empêcher de me rappeler au souvenir de M le Maudit (1931), celle-ci eut surtout un rôle prépondérant dans mon plongeon tête la première dans cette histoire dérangeante, révoltante et prenante. Lucas, directement présenté comme un type banal, sans histoires, honnête, serviable, attire directement notre sympathie. Comment, alors, pourrait-on en arriver à des accusations de pédophilie ? C’est l’objet du début du film, nous maintenant dans une tension permanente, et nous menant à avoir un rictus à chaque sourire de la petite fille envers Lucas, alors que l’on n’imagine pourtant pas qu’il puisse y avoir plus que de la complicité entre eux deux. Pourtant la petite fille va affirmer avoir été abusée par Lucas, et tout le village, bien sûr, prendra le parti de la petite fille, à la parole innocente et sincère, quand le spectateur, lui, au faîte de l’histoire, ne pourra que se rallier à Lucas, empêtré dans la même injustice et frappé par la vague de haine et de rejet qui l’attend.
Avec un départ relativement rapide, le film finit cependant par s’étirer, rendant hommage aux superbes paysages aux couleurs automnales de l’Europe du Nord, nourrissant le malaise habitant le village, nourrissant la peur et le sentiment d’injustice qui oppressent Lucas. La Chasse ne fait pas la part belle à la violence physique, mais à une violence psychologique puissante, presque insoutenable. Le mouvement de foule et de haine envers un seul individu, que nous avions déjà pu observer dans M le Maudit, est ici également très présent. Au tribunal de la société, il n’y a pas de présomption d’innocence qui tienne, seules les rumeurs et la force du nombre prévalent, les masques tombent, les amitiés se rompent. Seuls le frère et le fils de Lucas seront toujours auprès de lui dans cette sombre affaire, mettant en lumière la puissance des liens familiaux, présentés comme infaillibles, quelles que soient les circonstances.
Au-delà de cela, c’est surtout l’innocence apparente de la petite fille, et des enfants dans leur ensemble, qui est remise en question. Considérés comme des êtres incapables de se défendre, purs, sincères, il ne vient à l’idée d’aucun adulte qu’un des enfants ait pu mentir, réagissant par instinct face à la pression des adultes. C’est seulement lorsque la petite fille, elle-même, commence à reconnaître ses torts et qu’elle a commis une grave erreur que la situation va peu à peu se désamorcer, non sans une dernière explosion de violence mémorable lors de la messe de Noël à l’église. La question ici posée, finalement, est la suivante : le mensonge n’est-il pas une composante de notre instinct de survie ? Et, dès lors, ne l’utilisons-nous pas comme arme dès notre petite enfance ?
Engrenage sombre et atroce issu d’un petit mensonge, La Chasse est un film qui brille par sa capacité à soigner son authenticité, à partager des émotions sans jamais s’embourber dans un pathos exacerbé, et qui impressionne par sa faculté à immerger son spectateur de bout en bout. Le film se permet même une fin ouverte, tout à fait bienvenue, rappelant que malgré la résolution de la situation, les plaies du passé ne sont jamais réellement fermées, et que le danger n’est jamais vraiment totalement annihilé. Les acteurs, tous très authentiques, et surtout Mads Mikkelsen, qui brille littéralement dans ce rôle sobre mais tout en nuance et utilisant toute la palette des émotions, complètent ce formidable travail. La Chasse est un film marquant, fort et prenant, que je vous conseille vivement.