Sur la base de quelques incursions dans l'univers cinématographique de Jean Rouch, son travail m'aura très agréablement surpris par son équilibre, au-delà de quelques réticences sur la forme, à mi-chemin entre le compte-rendu ethnographique et le documentaire à proprement parler. Jean Rouch s'est ici débarrassé d'un certain côté académique, d'un certain ton professoral (même s'il a toujours été très humble dans ce que j'ai vu jusque là) qui m'avait quelque peu agacé dans "Moi, un noir" ou "La Pyramide humaine", au-delà de l'intérêt qu'on pouvait trouver dans le contenu stricto sensu. Dans "La Chasse au lion à l'arc", il embrasse pleinement, sereinement, son sujet et fait découvrir de l'intérieur, en totale empathie, la tradition de cette chasse issue d'une tribu africaine.
On se situe assez étonnamment dans le registre du conte, à travers l'introduction et la conclusion, comme une histoire que les ancêtres raconteraient aux enfants les soirs au coin du feu. Il faut sans doute y voir là un message de la part de Jean Rouch nous signifiant qu'il s'agit d'une histoire avant tout, et non d'un document officiel transcrivant une réalité de manière parfaitement objective. On est à la frontière entre le Mali et le Niger, et la chasse au lion constitue pour la tribu en question un rite d'une importance capitale. Rouch apporte un soin évident dans la retranscription des systèmes de croyances, en expliquant la signification de chaque geste ou presque et en explicitant la composante spirituelle de mouvements apparemment anodins, et dans la documentation des préparatifs dans les moindres détails, de la longue fabrication des arcs et des flèches à la chasse éponyme des lions en passant par la composition du poison, étape parmi les plus fondamentales.
Une modestie et une hauteur de regard fort appréciables caractérisent la démarche (qui s'illustrent d'ailleurs dès le générique où tous les figurants sont présentés, dans la logique d'une démarche ethnographique). Le discours se teinte en outre d'une certaine mélancolie à la toute fin, un conte teinté de poésie, lorsque Jean Rouch évoque le fait que l'histoire qu'il raconte là aux enfants de son époque ne représentera plus aucune réalité lorsque ces mêmes enfants auront grandi, la tradition de la chasse au lion à l'arc étant vouée à disparaître. Difficile de lui donner tort ou raison sur ce point précis, mais on ne peut que constater le respect et la fascination qui se dégagent de la minutieuse description des rites, des chansons, des croyances, et des incantations (à travers la considération que les chasseurs accordent à l'âme des animaux qu'ils tuent) de cette démarche ethnographique étonnante de pureté.