Comme disait Campan : moi, je pense qu'il faut replacer le film dans son contexte historique, hein. Et pour cause, La Chasse aux sorcières est une pièce puis un film qui prennent leurs racines dans la même paranoïa qui fut celle de la Guerre froide. Des parallèles logiques sont tombés lors de l'écriture, surtout pour Arthur Miller, l'auteur, qui avait lui-même été poussé à dénoncer ses collègues en 1956 (mais qui ne l'a pas fait) lors de cette autre chasse aux sorcières qui impacta le monde bien davantage que celle de Salem.
Chez Hytner, on est bien à Salem, mais la voix de la raison de la bourgade, Daniel Day-Lewis, est un peu l'incarnation de Miller à trois siècles et une réalité d'écart – un moyen parmi d'autres de figer le film dans les années 1990 et leur saveur de renouveau qui rend l'art enfin réceptif à une paranoïa qui ne soit pas étouffante. Un autre de ces moyens, c'est le casting dont on semble avoir perdu la trace aussi – c'est en tout cas littéralement le cas de Paul Scofield qui incarne pour son dernier rôle un personnage principal qui arrive tard mais vraiment fort (il porte mieux le film que DDL).
On était aussi dans l'âge d'or des décors ouverts, où le patriotisme américain servait de prétexte à gratter la surface de l'Histoire sans faire semblant. Salem, rare élément de patrimoine là-bas, ressort de terre comme une Atlantide qui fleure bon le bois. Mais quand la superstition l'investit, elle manque de fond : la paranoïa si chère à Miller est traduite par Hytner sous la forme d'une fatalité presque idiote se résumant à des notables bornés d'où s'échaufaude assez pauvrement la « chasse aux sorcières » à proprement parler (si ce n'est pas pareil dans la pièce, en tout cas).
Puis, coup fatal porté à l'âme de ce monument de menuiserie, l'oubli : d'où vient au juste la détermination d'un groupe de jeunes filles à mentir et à simuler au point de faire pendre leurs voisins, jamais justifiée autrement que par la folie d'une seule, ni ébréchée par autre chose que le retour à la raison d'une seule autre ? Il fallait qu'il y eût là, en guise d'explication, un cercle vicieux solide, sordide, théâtral justement, mais non : les pêcheresses resteront dans l'arrière-plan comme une chorale de nigaudes qu'on écoute à peine tandis que s'impose à nous toute l'atrocité de leurs incompréhensibles calomnies.
Je regrette de devoir enfoncer ce film très immersif, à la hauteur des œuvres historiques d'Hollywood à l'époque, qui a cette propriété étrange de ne jamais faire ployer sa linéarité ni la satisfaction qu'il produit, mais il s'attache décidément trop à l'œuvre de Miller : recherchant ostensiblement ce que le théâtre ne pouvait pas offrir (gros plans, plans transversaux, saleté), il oublie d'en dégager au moins l'écriture.
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