Ruines et idéal
Qui connaît le cinéma d’Alice Rohrwacher sait qu’il renferme un univers singulier et aux frontières mouvantes. Renouant avec l’esthétique à gros grain argentique des Merveilles, la cinéaste embarque...
le 7 déc. 2023
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Je dirai en préambule que le synopsis inclus dans la fiche technique du film donne déjà une très bonne idée de celui-ci ; je vous conseille de le lire, si ce n'est déjà fait.
L'histoire se passe en grande partie dans une petite ville de la côte tyrrhénienne (Toscane ou Latium) et tourne autour d'Arthur, jeune homme de prime abord assez déroutant (personnifié avec art et sensibilité par Josh O'Connor), dont on comprend que c'est un Anglais expatrié dans cette petite ville italienne et qu'il y gravite parmi certains marginaux du lieu.
Le film se focalise sur lui dès le début du film (et le compartiment de train dans lequel il sommeille tout en s'adressant en rêve à une jeune femme qui lui sourit) et quasiment jusqu'à la scène finale... dont je vous laisse la primeur.
Trentenaire, insolite, déroutant, complexe, "à part", Arthur est donc le personnage par lequel on découvre l'univers filmé. La réalisatrice Alice Rohrwacher dessine son "héros" par petites touches, lui gardant sa part de mystère. Pas facile de comprendre qui il est. Il sort juste de quelques semaines (?) de prison (un certain "Spartaco" a payé l'avocat ayant réduit la peine au minimum), il a presque l'air d'un vagabond (on découvrira qu'il habite une pauvre bicoque construite de bric et de broc, adossée à flanc de montagne), mais il est attendu à son arrivée en gare et accueilli avec transport dans sa ville de résidence, d'abord par une bande de "bras cassés" pleins de sollicitude à son égard (on comprendra assez vite pourquoi), mais aussi par Madame Flora, une vieille dame handicapée, ancienne professeure de chant (Isabella Rossellini... qui a bien changé depuis Blue Velvet) propriétaire d'une grande bâtisse (tombant, elle aussi, en ruines) qu'elle occupe seule, du moins le croit-elle, avec une jeune femme nommée "Italia", moitié son élève, moitié sa servante. Madame Flora apprécie beaucoup Arthur (elle a d'ailleurs chanté ses louanges à "Italia"). On comprend qu'elle est la mère de la jeune femme qui était dans le rêve d'Arthur, lors de la toute première scène du film, jeune femme dont on apprend qu'elle se prénomme Beniamina, qu'elle a été le grand amour d'Arthur, mais qu'elle est morte et qu'il n'arrive pas à l'oublier, non plus qu'un certain fil de laine rouge se détricotant de sa robe (qui a accroché une broussaille, tandis que le couple visitait des ruines archéologiques, probablement romaines).
Arthur a un don de sourcier, sauf que ce qu'il détecte dans le sol, ce ne sont pas des sources d'eau, mais des espaces vides, et plus précisément ce qu'on trouve assez couramment en Italie centrale (qui est comme un vaste cimetière des civilisations passées) : des tombes, notamment étrusques, donc vieilles de quelque 2.500 ans (les Étrusques sont un peu antérieurs à la Rome antique). Et c'est pourquoi il était, au sortir de prison, attendu avec tant d'impatience par ses copains "bras cassés". Ils sont, en fait, des "tombaroli" ou pilleurs de tombes antiques. Les artefacts étrusques qu'ils déterrent, grâce au don d'Arthur, ils les revendent à un mystérieux et richissime antiquaire qui, plus ou moins, les commandite, et c'est "Spartaco" (celui-là même qui a payé l'avocat "libérateur" d'Arthur).
Tout ça ferait un petit commerce (illégal, car normalement les découvertes archéologiques sont la propriété de l'État italien) permettant à la bande de vivre couci-couça, sauf que Arthur n'est pas un minable brigand comme ses potes "tombaroli" (chapardeurs des richesses archéologiques locales). Devenir riche n'est pas sa chimère. Ce n'est pas l'argent qui l'intéresse, mais la beauté. Et sa chimère à lui, c'est ce fil de laine rouge qui le rattache à son amour perdu (le souvenir obsédant de ce bas de robe de Beniamina qui file et se détricote). Pour lui, la beauté (d'un être humain ou d'une statue archéologique) n'a pas de prix, ne se vend pas. Et sa pureté de coeur, ses "principes", sa liberté d'âme lui coûteront cher, en même temps qu'elles le réuniront ultimement à celle à laquelle il reste attaché par un fil de laine, le fil rouge, si fragile, de l'amour et du souvenir.
Le dernier opus d'Alice Rohrwacher est un très joli film, subtil, féminin, mystérieux, onirique, un film qui par certains côtés évoque Fellini, par d'autres Pasolini, Monicelli, voire Ettore Scola.
Le charme de l'oeuvre repose en bonne partie sur le personnage romantique et très travaillé, d'Arthur / Josh O'Connor. Les personnages féminins sont un peu plus en retrait, mais Carol Duarte (dans le rôle d'Italia, avec laquelle Arthur tente un moment d'oublier Beniamina) ne passe pas inaperçue. Comme, bien sûr, Isabella Rossellini, mythe vivant et impressionnant s'il en est.
La Chimère se vit comme un rêve étrange et mystérieux, une approche artistique relativement nostalgique, une vision du monde à la fois légère, amère et finalement assez sombre.
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Créée
le 22 déc. 2023
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