De ce film j’avais gardé un souvenir lointain, celui d’une après-midi de collège, d’une classe de sixième. Une journée morne d’hiver, une veille de vacances de Noël. A l’époque le prof de français, qui faisait aussi office de prof d’Histoire Géo et de latin, nous passait avant chaque vacances des péplums. Ici Ben-Hur, là Quo Vadis, Samson et Dalila, Cléopâtre et autres 10 commandements. En deux ans, 6è + 5è j’ai donc acquis une certaine culture dans le genre. Mais, jeune et boutonneux, je suis souvent passé à côté de ces œuvres longues et teintées de l’auréole bienveillante d’un Eddy Mitchell en transe lorsqu’il les présentait le jeudi soir dans une émission de cinoche qui manque aujourd’hui, la fameuse dernière séance.

De La Chute de L’Empire Romain j’avais gardé un souvenir très mitigé : beaucoup de dialogues, deux grandes batailles, point barre. Seconde rencontre, les cours de fac. A l’époque, on étudiait les crises de l’Empire Romain au IIIè siècle ; le prof, un ponte dans la matière, s’était amusé à dézinguer ce film pour l’illustration qu’il faisait d’un mythe, celui du déclin de l’empire, déclin avant tout moral et donc jamais aussi proche d’une sorte de moralisation bien pensante. Ah, déjà Néron n’était-il pas un pervers débauché ? Et que dire de ce Commode ? Heureusement les Chrétiens avaient fini pas s’imposer hein ? Exit les guerres, la luxure, vive la Paix, la sérénité, la chasse au vice … Bref, il s’était bien excité, tant et si bien que j’ai longtemps reculé l’envie de le revoir.

Heureusement le net est là : une pub, on dirait qu’un célèbre vendeur virtuel sait tout de moi et de mes goûts, une offre pour Quo Vadis et La Chute de L’Empire Romain à 10 euros, ça ne se refuse pas.
Le choc. Indubitablement, je comprends pourquoi j’avais gardé un souvenir aussi pâle ; en effet, ce film est verbeux. En effet, certaines séquences ont vieilli, le rythme n’est pas toujours efficace, certains plans se tirent en longueur. Mais, par tous les dieux, quel travail !

Le propos de Mann est problématisé ; oui, problématisé. Pourquoi l’Empire romain s’est effondré ? Un film qui pose une question au spectateur et qui se propose d’y répondre en conclusion. Le choc. Un film qui s’adresse au cerveau, une œuvre à méditer, une approche politique d’un problème antique au prisme d’années soixante où la Guerre froide a failli tout envoyer valser : tourné en 1963, juste après la crise de Cuba, sort en 1964, après Kennedy, juste avant le Vietnam. Il serait aussi impardonnable de passer outre ce contexte pour comprendre ce film que de faire un mauvais procès au Alexandre de Stone. Ces deux regards sur l’antiquité sont autant de regards sur leurs époques respectives.

La démonstration est ici limpide : Marc Aurèle a passé sa vie à faire la guerre, alors qu’il est profondément amoureux de la paix. Lui, qui se rêve en pacificateur, en civilisateur des Barbares, agonise et décide, dans un ultime sursaut, de tout faire pour garantir une paix. Accueillir les Barbares, leur offrir la civilisation romaine, plutôt que de les écraser. Faire que Rome, la guerrière, devienne la championne d’une paix éternelle. Las, son fils, Commode, est instable et violent. Alors pourquoi ne pas faire de son meilleur général, un Romain droit, fier, noble et juste, acquis à sa conviction, Livius, son fils adoptif et donc le futur empereur ?

Oui, ce pitch peut vous dire quelque chose. Et d’ailleurs ce fut une véritable surprise même si je commence à être vacciné. Je pensais bien connaître les films de guerre, Drélium via senscritique m’a prouvé le contraire en me permettant de plonger dans le génial Requiem pour un Massacre. Je pensais bien connaître les Péplums, et voilà que je fus incapable en 2000 de faire le lien entre Gladiator et cette Chute. Car, définitivement, Gladiator n’est qu’une pâle reprise, turbulente, zimmerienne, furieuse mais définitivement vide, de l’œuvre de Mann.
La force de ce film est multiple. Spectaculaire, cette reconstitution s’appuie sur une foule délirante de figurants, des décors aux petits oignons, grandioses et grandiloquents. Comment, par exemple, ne pas songer à Ran et son château médiéval reconstitué dans ce bastion du limes germanique ? Comment ne pas penser à Ben-hur dans ce duel incroyable de chars entre Commode et Livius. Bien malin qui pourrait dire lequel est meilleur. Comment rester de marbre devant la bataille Occident-Orient, titanesque dans les moyens humains utilisés ? 3H pour en prendre plein les yeux.

Mais, cette Chute, ce sont aussi de longs moments intimistes. Des réflexions étayées sur le pouvoir, tel cette séquence où Marc-Aurèle parle seul à une âme. Et quelles réflexions ! La guerre alimente la haine, alors conquérons les cœurs. Ouvrons-nous. Ce n’est pas du bisounours car jamais la force n’est totalement rejetée. Tout le temps il s’agit de s’imposer car sa culture, ici Romaine, est supérieure. Mann offre une belle leçon de real politik.

Sans doute le casting a du souffrir de la comparaison ; 1963 c’est aussi la sortie colossale du Cléopâtre de Mankiewicz qui est encore plus spectaculaire à tous les niveaux. Chez Mann, le héros principal, Livius, joute avec des valeurs sûres ; Sophia Loren belle comme toujours mais moins magnétique que Liz Taylor. Alec Guinness excelle en Marc-Aurèle, James Mason est à lui seul une certitude de qualité, John Irelan, peroxydé, fait le job en Valomar le Barbare de service. Immense est Christopher Plummer en Commode. Mais Livius semble trop grand pour Stephen Boyd. Même la touche orientale apportée par Omar Sharif n’y peut rien, pas plus que le pourtant excellent Anthony Quayle qui sera à nouveau en jupette pour mon plus grand bonheur dans la série Masada quelques aannées plus tard. Et je n'évoquerais pas la musique, par charité, pas plus que le découpage temporel étrange, nous faisant sauter quelques mois ou années d'un plan à l'autre, franchir des milliers de kilomètres, sans une carte (si une, à la fin) ou un de ces petits appartés que Mankiewicz, a eu, lui, la grâce de nous donner.

Ces dernières limites ne doivent pas occulter l'essentiel : ce film doit sortir de l’oubli. Cette œuvre, dont je n’ai pas souvenir avoir lu ou entendu Scott faire l’éloge lors de la sortie de Gladiator et qui, pourtant, est avec le recul partout dans ce dernier, est largement supérieure. Gladiator est un très bon divertissement avec une superbe BO, La Chute de l’Empire Romain est une réflexion de haute volée. Vous avez pleuré pour le sympa Maximus et sa ch'ite famille ? Alors regardez donc la scène des funérailles de Marc-Aurèle : démentiel. Joachim Phénix était génialement perfide ? Plummer l’explose car il illustre un personnage plus complexe, beaucoup moins caricatural.

Historiquement, comme souvent, il y aurait à redire ; Marc-Aurèle a associé Commode à son pouvoir bien des années avant de mourir, ce dernier n’ayant jamais fait tué son père. Oui, Commode aimait les combats de gladiateur, non il n’est pas mort dans une arène. Oui, l’empire romain a disparut, mais en orient, il a perduré encore des siècles. Et d’ailleurs, s’est-il effondré ou n’a-t-il tout simplement pas évolué ? Et puis en cette fin de second siècle, l’Empire est bien loin de s’effondrer. Et si crise il y aura au troisième, un Constantin ou un Julien seront toujours empereurs d’un empire solide un siècle plus tard …

Découvrez ce film avec ses défauts qui ont surtout le charme des vieilles œuvres. Méditez l’adaptation de Gladiator. Profitez du dernier grand spectacle, du dernier grand péplum d’Hollywood avec que ce genre ne soit passé à la moulinette blockbusteuse (dernière remarque qui me confirme que oui, l’Alexandre de Stone est vraiment intéressant et quelque part dans la veine de cette Chute).

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le 6 oct. 2013

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Aqualudo

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