Gros plan sur des corps flasques et bedonnants en mouvement autour d’une piscine sale, telle est l’ouverture surprenante de La Ciénaga. Des couples de quinquas trainent leur fauteuil, peut-être pour se protéger de l’orage sur le point d’éclater. Ils ont un point commun : tous ont une cigarette et un verre plus ou moins rempli à la main et celui-ci ne semble pas être le dernier d’une longue série. Mecha, la maitresse des lieux - une propriété rurale au nord-ouest de l’Argentine - mère de quatre adolescents et épouse délaissée, chute dans la manœuvre et clôt sa journée aux urgences.
Fin de la fiesta.
Dès les premières minutes, le film impose une ambiance lourde et moite. Une tension permanente règne au sein de deux familles : celle de Mecha et celle de sa cousine, Mercedes. Lucrecia Martel s’attèle aux dérives des adultes, à leurs psychoses, aux rancœurs qui les alimentent, sans jamais trop en dévoiler. Il suffit d’un plan, d’une phrase pour que le spectateur imagine un fragment de l’histoire, la justification d’une attitude. Tout s’est construit sur des non-dits et des malentendus. Une pique lâchée à untel et voilà qu’on déroule dans notre tête l’historique sur dix ans. Il règne une chaleur étouffante à la Ciénaga mais l’alcool qui s’y consomme à longueur de journée n’est pas là pour épancher la soif. Il est le moyen d’une dérive, d’un laisser-aller, une échappatoire, auxquels assistent les enfants. Leurs jeux et leurs rires ne font que renforcer le décalage entre ceux qui font le deuil de leur jeunesse, et ceux pour qui l’avenir est devant, impressionnant, imprévisible et malgré tout, séduisant.
Il ne se passe pas grand-chose dans La Ciénaga, et c’est tant mieux. La vie est à l’œuvre, construisant les personnalités, réunissant les cœurs ou détruisant les liens. Le film démontre que malgré les différentes conditions sociales dont les deux familles sont issues, elles seront touchées toutes deux par le drame, sans que celui-ci ne fasse de distinction entre le Bien et le Mal, et que c’est seulement en s’épaulant que l’on peut y faire face.