Peter Brosens et Jessica Hope Woodworth se confrontent aux périlleux exercices du film apocalyptique : un genre qui charrie aussi bien des œuvres fascinantes, comme chez Ferrara (4h44, 2012), que des blockbusters insipides et répétitifs. Le couple de cinéastes belges utilise ingénieusement le fantastique comme point de bascule d’une impitoyable dégringolade dans le chaos. Le synopsis est déjà alléchant avec ce printemps qui ne vient pas sur une petite communauté rurale. Si ce dérèglement est la conséquence des actions humaines – « nous jouons avec les saisons » prononce le personnage de Pol (Sam Louwyck) –, La Cinquième Saison n’est pas une énième satire écologiste de plus. L’œuvre tient plutôt de la tragédie divine où la nature, véritable Dieu ex-machina, répond par des actions bibliques : les abeilles ne voleront plus, les oiseaux choiront sur le sol, les poissons morts descendront les rivières et les arbres tomberont. Elégie bucolique ou poème mortifère, l’œuvre ne cherche pas des réponses à son postulat fantastique mais seulement à assister à cette spirale funeste qui pousse les hommes à se retrancher dans un instinct de survie aussi bien animal que social.
La Cinquième Saison est une fable rurale dans laquelle des personnages-types forment à l’échelle de ce village le prototype d’une société entière. La crise écologique distribue les rôles avec ces épiciers qui se transforment en bourgeois contrôlant la vie de la communauté en contrôlant la nourriture, Pol qui endosse le costume à double tranchant de sage et d’étranger ou encore Alice (Aurélia Poirier, impressionnante révélation) et Thomas (Django Schrevens) symbolisant encore l’innocence de la sortie de l’enfance. Dès l’ouverture, les deux adolescents répondent en échos aux saynètes absurdes du coq Fred. Si le discours ne passe plus entre l’homme et l’animal quand le premier tente de domestiquer le second, il fonctionne encore de manière symbiotique en associant les chants des oiseaux et ceux de ce couple choisissant la forêt comme écrin à leur amour secret. Néanmoins, l’horreur de la situation pousse cette osmose amoureuse à se déliter sans renier son ambition de faire renaître le sublime des tragédies : Thomas s’unit avec la nature pour la sauver tandis qu’Alice se retourne vers les hommes pour survivre.
Peter Brosens et Jessica Hope Woodworth questionne l’homme en reprenant la logique antithétique de Karl Marx selon laquelle l’homme est un animal civilisé ayant remplacé l’instinct par la culture. Jamais aucun habitant du village de La Cinquième Saison ne s’interroge sur sa possible responsabilité dans le désastre et préfère y répondre par des faits sociaux montrant sa propre faiblesse comme la xénophobie dont sont victimes Pol et son fils, leur seul tort résidant dans une coïncidence. Chez les cinéastes belges, ce n’est pas seulement la nature qui dépérit mais aussi la société des hommes. Avec l’habileté scénaristique qui les caractérise et qui privilégie l’ellipse, Brosens et Woodworth établissent une graduelle tombée dans l’extrémisme sectaire. D’abord plutôt athéiste avec des réminiscences plutôt traditionnelles (le carnaval), le village se retourne vers le divin comme la famille d’Alice qui se raccroche à un Christ cloué dans la cuisine ou à des bénédicités. Sans réponse, cette microsociété cherche alors le pardon dans l’animisme en bénissant les arbres. Dans un climat appauvri et désespéré, c’est le paganisme qui triomphe avec ces masques signifiant l’appartenance au groupe et donc le renoncement à l’identité individuelle. Les traits humains disparaissent pour laisser place à nouveau à des bêtes violentes et meurtrières faisant régner la loi du plus fort. La Cinquième Saison se clôt sur le passage d’un troupeau d’Autruches : symbole du refus de réalité et de l’animal collectif qu’est redevenu l’homme.
La Cinquième Saison est intéressante également parce qu’elle allie l’intelligence du scénario à la maîtrise de l’image. Brosens et Woodworth insufflent un lyrisme funeste qui manquait cruellement à un cinéma qui tend de plus en plus vers la pâle copie du réel. Ils offrent aux spectateurs des parenthèses visuelles saisissantes montrant la beauté froide et morbide de la nature. Avec la temporalité si particulière de leur œuvre, ils renouent avec la temporalité même de la nature prenant parfois son temps et s’exaltant dans la passion à d’autres moments. Leur caméra virtuose semble alors se glisser dans le vent par ses mouvements lents et imperceptibles qui guident l’œil du spectateur vers les infimes détails de cette régression humaine. Alliant l’art du cadre et du montage, les cinéastes belges apportent un cynisme sans condescendance. Ils parviennent à donner la sensation paradoxale et ironique que c’est la nature justement qui regarde l’homme mourir à son tour.
La Cinquième Saison est un chef-d’œuvre marquant la possibilité d’allier l’intelligence de l’écriture à la beauté formelle. Peter Brosens et Jessica Hope Woodworth redonne la foi en un cinéma qui n’est pas uniquement la simple captation d’un réel misérabiliste et social mais plutôt la mise en place d’une mythologie propre à l’image.