Après le génialissime Delicatessen sorti en 1991, le duo Jeunet et Caro poursuit sur sa lancée de créations singulières avec La cité des enfants perdus en 1995.
Fable sombre située dans un monde de métal oxydé et de technologie type "steampunk", elle raconte comment la progéniture d'un savant fou a dégénéré. Cette famille protéiforme se livre à l'enlèvement de très jeunes enfants pour les rêves qu'ils peuvent procurer à Krank, un savant souffrant de vieillissement accéléré. Mais un géant au cœur d'artichaud ne l'entend pas de cette oreille, tandis que son petit frère disparaît entre les griffes des cyclopes, confrérie de fanatiques équipés d'implants technologiques.
Comme dans tous les films de Jeunet, c'est une galerie de personnages atypiques que le spectateur va suivre au cours de cette folle aventure. Depuis l'homme fort de la foire jusqu'à l'émouvante orpheline qui vit de rapines pour le compte de sœurs tyranniques quasi siamoises, en passant par le dresseur de puces savantes qui tuent sans fausse note, c'est un festival de "gueules". Dans une ambiance crépusculaire où le verdâtre domine, le désespoir semble envahir le monde. En dépit de toute la crasse, l'humidité et la promiscuité urbaine où l'appât du gain est la règle, il plane sur ce conte sombre et burlesque une ambiance poétique qui en fait tout le sel.
Les enfants sont tous plus craquants les uns que les autres avec leurs bouilles rondelettes, en particulier la jeune fille, Miette, qui a grandit trop vite dans ce monde hostile mais qui conserve celé au fond d'elle son âme d'enfant. One, le géant au grand cœur est parfaitement incarné par Ron Perlman qui lui donne une douceur inouïe en dépit de son corps colossal. Mais le casting entier, absolument magique, donne un cachet fabuleux à cette histoire : Daniel Emilfork (Krank) en vieillard au faciès terrifiant, Judith Vittet (Miette) avec ses grands yeux tristes, Dominique Pinon (les clones), acteur fétiche du réalisateur avec sa tronche grimaçante unique, Jean-Claude Dreyffus, le dresseur de puce opiomane, Rufus qui joue l'âme damnée de l'infernal et excellent duo, la pieuvre.
Tous ces interprètes, ces décors fabuleux et ces couleurs dans des tons de vert octroient une ambiance glauque et poétique qui signe la patte unique de ce duo de talent, Caro et Jeunet. Un conte dans lequel c'est un régal de se plonger, encore et encore, comme dans un rêve...