Le deuxième long-métrage du regretté tandem Jean-Pierre Jeunet / Marc Caro (après Delicatessen) est le lieu d'une très grande richesse plastique, au service d'un mélange d'atmosphères de contes pour enfants terrifiants, de monde post-apocalyptique, de film de freaks en tous genres et d'univers steampunk.
Se développe ainsi une véritable mythologie, nourrie de cauchemars enfantins, où les objets et les jouets sont teintés à la fois de nostalgie et de danger (l'orgue de barbarie, par exemple, qui déclenche l'effet du poison inséminé par les puces dressées – et dont le propriétaire est un toxicomane dépressif), où une sorte de Gestapo de cyborgs cyclopes (dont l'un est joué par François Hadji-Lazaro, connu notamment pour être le chanteur des Garçons Bouchers – groupe au nom taillé pour sa gueule) enlève des enfants, où des maîtresses/racketteuses deviennent « La Pieuvre » (deux sœurs siamoises, Zette et Line, incarnées par Geneviève Brunet et Odile Mallet, qui sont bien sœurs jumelles – malgré ce que leurs noms pourraient laisser penser –, mais pas siamoises ; une jambe artificielle a donc été créée pour les lier, mais l'accessoire les empêchait de marcher quand elles le portaient...), où même le Père Noël révèle sa supercherie en se montrant multiple, où une famille éprouvette se déchire le pouvoir entre les frères clonés narcoleptiques, la « mère » naine, l'oncle réduit à l'état de cerveau dans une machine, et enfin le grand frère psychopathe (au sens premier du terme : dépourvu de sentiments humains) justement dénommé Krank (qui signifie « malade » en allemand).

Dans ce monde où la plupart des adultes sont absents ou menaçants, les enfants doivent se débrouiller seuls et affichent ainsi un sens de la débrouillardise et de la dignité au-dessus du lot. Un des seuls adultes à avoir un rôle un tant soit peu positif est One (joué par Ron Perlman), Monsieur Muscle de cirque à la recherche de son petit frère qui jouera tour à tour vis à vis de Miette le rôle de grand frère, de père, et même de semblant d'amoureux... Le film assume donc pleinement son côté conte pour enfants autant que pour adultes (à la manière de "La Nuit du Chasseur" de Charles Laughton, dont la fameuse scène « flottante » d'une barque coulant sur l'eau entre deux péripéties est citée ici), n'hésitant pas aller parfois très loin dans l'horreur comme le faisaient Perrault ou Andersen (il n'y a qu'à voir la scène où un personnage est forcé à voir son propre visage agonisant, dans une citation cette fois-ci du Peeping Tom de Michael Powell), le tout en étant aussi assez convaincant côté science-fiction – plutôt orientée steampunk, donc (la touche rétro autant que celle « bidouillage » du duo Jeunet/Caro pouvant s'exprimer à fond dans ce genre). Il me semble que le jeu "BioSchock" a beaucoup été influencé par ce film, mais je n'ai trouvé aucune info corroborant cette hypothèse...

La musique composée pour le film par Angelo Badalamenti baigne elle aussi, d'une certaine manière, dans cet univers steampunk : il a créé une musique u-chronique (parfaitement adaptée au monde dystopique du film), incorporant des instruments anciens (ajoutant forcément une touche de nostalgie mélancolique) à des mélodies lancinantes dont la machinerie semble toujours finir par s'enrayer. La musique de La Cité des Enfants Perdus sera justement récompensée par un César, de même que les décors, les costumes et la photographie si particulière du film (pour s'adapter au ton coloré très expressionniste du film, les acteurs ont du se faire maquiller le visage en blanc, leur couleur naturelle étant ensuite rétablie à la palette graphique).

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le 5 févr. 2012

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