On devine dès le départ qui est cet homme patient, mais l'objet de sa colère met du temps à se dévoiler, et quand il le fait, ça n'est pas décevant comme dans pas mal d'autres histoires construites sur le même ressort. Cela tient certainement au traitement réaliste, à l'image sans chichi, au son authentique, à cette impression d'entrer dans un bar populaire espagnol et d'y entendre les conversations à la mitraillette, avec cet accent madrilène si tendu et vif. A certains moments, ça évoque presque les procédés de Tarantino, toute affèterie mise à part, parce qu'ici, le style est tout sauf esthétisé. Au contraire, on colle aux carrelages ébréchés, à la vaisselle pas nette, aux trottoirs fissurés, aux mailles tirées, avec une rage qui fait mouche. Comme si une simple description minutieuse valait tout un discours sociologique. Il en va de même pour les personnages, yeux cernés, teint blafard, vêtement avachis... ils transpirent le réel à chaque seconde, ces décors poisseux voire mités qui les imprègnent et contaminent même leurs moments de bonheur. On sait qu'ils vont être fugaces et que la vie, c'est le plus souvent, dans certains quartiers au moins, une indicible malédiction. Le réalisateur tente malgré tout de la dire et son entreprise est le plus souvent couronnée de succès. Évidemment, ça n'est pas le prix Guimauve de l'année, mais ça mérite d'être vu, d'autant que la fin recèle suffisamment d'intérêt pour ne pas tout gâcher bêtement, comme c'est si souvent le cas. Bref, encore une bonne surprise du cinéma espagnol (la dernière, pour mémoire, c'était La Isla Minima).