La Colline
6.3
La Colline

Documentaire de Denis Gheerbrant et Lina Tsrimova (2022)

Il existe bien des manières d'aborder la misère humaine. La plus commune est de détourner les yeux. On évoque moins souvent la tendance qui consiste à rester la regard fixé sur elle, immobilisé par la puissance de ce qui s'impose à nous.


Denis Gheerbrant et Lina Tsrimova réalisent un documentaire situé dans une déchetterie au Kirghizistan. Ils suivent le quotidien de personnes dans une précarité extrême, travaillant jour et nuit dans une montagne d'ordures. Un tel synopsis ne fait pas rêver, néanmoins les documentaires sont rarement utilisés pour inspirer nos rêves. Au contraire, ils sont plus souvent décrits comme des "chocs", des "réveils" nous mettant face à ce qui est habituellement dissimulé ou nié. Dès la fin du générique, je sentais pourtant que "la Colline" n'allait laisser aucune empreinte dans ma mémoire et ceci malgré toute la violence de son propos. Comment expliquer cela ?


Au cours de débats suivant la projection du film, Denis Gheerbrant a précisé que sa volonté n'était pas de faire du "journalisme", de "l'écologique" ou du "politique". Il explique avoir voulu être là pour "redonner de la dignité" à ces personnes, "voir ce qu'elles avaient à lui dire". L’œuvre est ainsi centrée sur le quotidien des différents habitants de la décharge. Les témoignages et tranches de vie se succèdent sans qu'une voix off ne pose de contexte. Bien qu'il soit noble de vouloir redonner de la dignité à ces personnes, une telle volonté nécessiterait à mon sens de les aborder de manière globale, en les replaçant notamment dans un contexte et une trajectoire de vie qui leur sont propres. J'ai trouvé au contraire que les personnes présentées étaient là où nous les attendions, réduits à la simple vividité de leurs conditions de vie et la narration de quelques anecdotes difficiles. Tout l'arsenal du misérabilisme est ainsi convié : témoignages déchirants, instants de souvenir autour d'un album photo ("telle personne est morte... elle aussi elle est morte..."), passages lyriques où un habitant de la décharge montre à la caméra les poèmes qu'il écrit au milieu des ordures... Les créateurs ne lésinent pas sur l'indigent. Jusqu'au point où l'on finit par se demander : mais pourquoi tout ce déballement ? Quelle est la visée d'un tel travail ?


Toujours au cours de la discussion suivant la projection, Gheerbrant a souligné que le film s'inscrivait dans la lignée des questionnements sur la vie : "Comment ces personnes se débrouillent-elles avec la vie ? Comment la subissent-ils ? Qu'est-ce qu'elles en font ?"

Ces interrogations, amplement personnelles, sont intéressantes à explorer, surtout quand la vie se déroule dans des conditions extrêmes. Restituer cette réflexion reste néanmoins complexe et l'accumulation d'images et de témoignages m'a semblé bien insuffisante pour y répondre, donnant ainsi l'impression que le documentaire ne va jamais plus loin que ce que ses sujets donnent à voir. Pour prendre un exemple, nous aurons plusieurs séquences sur le quotidien d'un couple de la déchetterie, mais à aucun moment ne sera évoqué un élément cité au cours des débats : ce couple tiendrait apparemment un "open bar" jouant ainsi un rôle fédérateur au sein de la décharge. C'est bien dommage qu'un tel élément soit omis. Cela nous aurait donné un aperçu plus approfondi du microcosme de la déchetterie et la manière dont les habitants créent du lien, "font" avec la vie qui leur est donnée.


Tout au long du film perdure cette impression que les réalisateurs sont un peu trop fascinés par ce qu'ils voient, jusqu'à en devenir sidérés, immobiles. La possibilité de questionner l'image disparaît. Aucune exploration de la notion de déchet n'est proposée, bien que celle-ci soit un angle de vue pertinent pour aborder notre monde actuel. Qu'est-ce qui vient faire déchet et pour qui ? D'où vient-il, quelle est sa trajectoire ? Comment forme-t-on une communauté à partir des déchets ? Tant de questions qui ne seront jamais abordées. Parmi tous les dispositifs liant les êtres humains entre eux, il n'y a que les égoûts qui semblent tenir l'épreuve du temps.


J'ai été plutôt mal à l'aise devant un tel film. Cet étalage ostentatoire de misère et ce refus d'acquiescer sa subjectivité ont accentué la sensation de voyeurisme, risque commun devant ce genre de travail. Loin d'être un documentaire militant, "la Colline" m'a semblé être avant tout une œuvre personnelle, une tentative de répondre aux questions de son créateur.

Mellow-Yellow
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le 16 nov. 2023

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