Ceci n'est pas une oeuvre de fiction
Clairement pas un grand film, eu égard des précédentes productions Ghibli, et surtout vis-à-vis de Papa Miyazaki. Mais La Colline aux Coquelicots à tout de même quelque chose pour lui, c'est le Ghibli le plus "réaliste" depuis Le Tombeau des Lucioles. Les films Ghibli sont généralement construits comme des métaphores du réel, une concession au réalisme qui leur permet de véhiculer des messages aussi simples que l'amitié, l'honneur ou le respect avec un chat géant, un cochon pilote d'avion ou encore un feu-follet plutôt bavard.
Ici, on sera donc surpris de retrouver une représentation très fidèle d'un Japon en pleine relance économique après la guerre de Corée avec de vrais gens et de vrais bateaux qui naviguent sur une vraie mer. Cela confie un cachet très particulier au long-métrage (chose que les gens de chez Ghibli auront certainement remarquée eux aussi, eu égard du message final, avant le générique). Pour autant, le style graphique est reconnaissable entre tous, quand bien même l'aspect fantastique y serait ici totalement gommé.
Ce qui plombe le film, finalement, c'est son scénario. Parce qu'il est encore possible de passer outre la musique de Satoshi Takebe, pas aussi inspiré qu'un Joe Hisaishi, du rythme poussif ou de ce fameux sens de la métaphore que l'on ne retrouve pas ici ; mais tout ceci est bien vain si l'on ne nous donne pas une belle histoire à regarder. Or ici fiston Goro et ses scénaristes ne savent pas vraiment où ils veulent aller. La première partie du film est excellente, l'histoire simple mais engageante d'un vieux foyer étudiant sauvé de la destruction par ses pensionnaires. Après une introduction un peu poussive, on s'émerveille, en entrant dans cette vieille bâtisse aménagée comme une cour des miracles, de voir clubs de philosophie, d'astronomie, de chimie, de journalisme et autres cohabiter comme dans une auberge espagnole.
La critique de @Flagblues (à lire ici : http://sens.sc/17CjvF2) est sans doute plus claire sur ce que je souhaite exprimer à ce sujet, mais disons que l'on a envie d'y être. C'est l'image d'un passé où l'on se déplace majoritairement à bicyclette, où la télévision n'est encore que cet énorme poste en noir & blanc présent dans quelques foyers seulement, un passé sans ADSL (l'horreur), et pourtant l'on a envie d'y être. Pas par anti-modernisme, mais parce que le réalisateur a su mettre en valeur l'état d'esprit très particulier qui régnait à cette époque.
Voilà pourquoi je n'ai pas envie d'accabler le film, car Goro a réussi à piquer quelques talents très importants à son Papa. Dans le lot, on retrouve ce sens de la scène et de l'ambiance, et cette capacité à retranscrire une atmosphère avec une aisance déconcertante. Le problème c'est qu'en-dehors de ces fabuleuses séquences, où l'on assiste tour-à-tour à des tranches de vie quotidienne au sein d'un hinata, à la rénovation agitée d'un vieux foyer étudiant ou encore au périple de trois étudiants au sein d'une entreprise tokyoïte, se dessine une petite histoire d'amour teintée de mélodrame, déjà plutôt simpliste à la base, mais alourdie par une sous-intrigue sur fond de paternité totalement inintéressante. Si vous n'avez rien compris à tout ce que vous venez de lire, c'est normal, c'est un peu l'état d'esprit dans lequel on est en sortant de la séance.
Je pense personnellement que l'on aurait pu s'en tenir à l'histoire de deux jeunes irrémédiablement attirés l'un vers l'autre alors qu'ils participent à la rénovation de leur foyer. Malheureusement, en milieu de métrage, la vapeur s'inverse, on n'entend presque plus parler du foyer (l'occasion de faire disparaître les quelques bons seconds rôles) et le film s'embourbe dans une recherche de la figure paternelle guère passionnante. C'est d'autant plus dommageable qu'en gardant un scénario clair et une histoire simple comme ligne de conduite, La Colline aux Coquelicots aurait pu espérer bénéficier du même capital sympathie qu'un Totoro pour les plus vieux.
Heureusement, le long-métrage laisse tout de même un arrière-goût plutôt doux après visionnage. Aujourd'hui, plus d'une semaine après l'avoir vu, je reste sur une bonne impression, un contraste agréable après Les Contes de Terremer que j'avais déjà oublié en posant le pied dans le métro pour rentrer chez moi. Un film diablement imparfait donc, mais fidèle à la réputation des studios Ghibli puisqu'il permet de s'évader pendant un cours instant dans un Japon de carte postale. Quant à Goro Miyazaki, si son héritage s'avère être une véritable épée de Damoclès accrochée avec trois bouts de scotch au-dessus de sa tête, on aurait tort de l'accuser de tous les maux, car avec quelques leçons intensives de scénario et de narration, il pourrait devenir un réalisateur tout à fait décent. Il n'y a plus que se mettre au boulot.