Quand le futur réalisateur d'Entretien avec un vampire se fait les crocs avec une belle petite histoire de loup garou, ça donne un film à l'identité singulière, plein de beaux décors de théâtre, de beaux costumes, de nappes de brume effilochées, et du combo dentelles, violoncelles et courbettes qui marqueront avec force son oeuvre à venir, adaptation que beaucoup considèrent aujourd'hui comme le chef d'oeuvre du film de vampire.
Et justement, tout ça ça colle très bien au film de vampire, donc c'est parfait pour un film de vampire. Et c'est peut être un peu aussi pour ça que je n'aime pas vraiment les films de vampire. Ça n'm'intéresse guère. Le mythe du loup garou lui par contre, il me plait. Et c'est peu dire. L'interrogation des limites entre fauve et humain, bestial et civilisé, la plongée dans les abysses sanguinaires de l'instinct animal, le hurlement déchirant sur une lune blafarde incarnant au plus juste la terreur du noir, l'homme se tordant de douleur tout en se laissant aller dans un plaisir orgiaque vers une nature d'une sauvagerie sans entrave, savourant un nouveau goût pour le sang, attiré par la chasse comme la flamme vers le bois sec, le comportement faussement meurtrier d'un animal traqué... Tout ça j'adore. Mais je ne le retrouve que peu dans le film de Neil Jordan, oeuvre d'une subtilité libidineuse un brin lassante...
C'est beau, y a pas à dire, l'ensemble colle parfaitement à l'ambiance de conte que bâtit le bonhomme. C'est doucement raconté, joliment illustré, ça respire le bon livre d'histoires aux pages jaunies, mais ça manque cruellement de folie pour ce sujet.
Oh on a bien sûr droit à quelques scènes de métamorphoses tout à fait honorables et surtout plusieurs séquences montrant une vraie meute de loups les yeux brillants dans le noir et s'amoncelant sur les racines tortueuses des arbres décharnés comme des vautours attendant leur carcasse dans les écharpes de brouillard nocturne, mais ces élans de générosité créatrice sont bien trop souvent avortés par le retour du "Il était une fois blablabla" et autres types en jupettes courbant le croupion pour moultes salutations...
Bref, pour une fois j'ai d'avantage envie d'écrire quelques mots pour parler de mon arrière goût de "C'est un peu dommage" plutôt que pour exulter d'un "Wah c'est bien pourri mais sacrément génial aussi !".
Reste que je ne peux qu'être généreux avec tout le reste. Des décors très bien pensés, des maquillages réussis, une BO assez plaisante, un soupçon d'euphorie éclatante par moments avec des séquences de transformations retrouvant un peu du bon "cartoonesquo-gore" de ce qui s'est fait de mieux dans le genre, un zeste de terreur avec cette façon de filmer la nuit hantée d'yeux et de cris, des loups magnifiques, une photographie très respectable, la belle mise en images d'une histoire sombre et tortueuse à la morale mordante, ce retour aux vrais contes teintés d'angoisse, cet onirique intangible ouvert sur l'avenir incertain de la construction de soi et cette impression définitivement bien trop rare d'avoir vu un film réussi sur le sujet de la bête hirsute qui bave et grogne face à une belle téméraire. Ça mérite d'être salué.
Juste dommage que ce virtuose de l'horrifique sensuel ne fasse qu'effleurer la terreur animale.