Naïf, beau et noir comme un Faulkner.
Apu vit avec son père, sa mère et sa soeur Durga. Le père rêve de devenir écrivain ; il a hérité du domaine ancestral mais ne se démène pas assez pour nourrir tout son petit monde. Le film fonctionne sur le mode de la chronique. Il commence par le vol d'une goyave par Durga dans le jardin des voisins, qui autrefois appartenait à la famille. Il y a aussi la vieille tante, une friponne qui mange à tous les râteliers ; le marchand de sucreries ; le colporteur et ses merveilles. Un jour, la voisine vient et ouvre de force le coffre à jouets de Dourga, qu'elle accuse d'avoir volé les perles de sa fille. On ne trouve rien, mais la voisine traite la famille de voleurs.
Et puis, la tante meurt. Le père, qui devait partir pour célébrer un enterrement, est retenu au loin pendant plusieurs mois. La mère, à bout de ressources, la mère Sarbajaya en vient à mendier l'aide de sa voisine. Puis un jour Apu et Durga restent sous un arbre alors que la mousson est très forte, et Durga tombe malade, puis meurt. Lorsque le père, Harihar, revient, le domaine, déjà bien décrépit, est devenu une ruine dans laquelle les animaux circulent librement. La famille décide de partir. En rangeant, Apu retrouve les perles que Durga avait volées dans un pot. De rage, il les lance dans un étang.
Film au noir et blanc sublime, quoique attaqué par le temps, "La complainte du sentier" frappe par son aspect universel. Les thèmes traités, comme la pauvreté et l'insatisfaction qu'elle génère, l'insouciance de l'enfance, l'homme désarmé devant la fatalité, la mauvaise conscience liée au terroir, etc... toucheront avec une grande force le public occidental, derrière la description vériste de la vie du Bengale dans les années 1920. Ray doit aussi être mélomane, car le caractère mélodieux de la langue indienne, notamment dans la bouche des femmes, a quelque chose d'envoûtant, tout comme la bande-son à la cithare, déroutante.
Le symbolisme du film a quelque chose de viscéral, avec quelque chose d'antique. Je songe aux plans contemplatifs sur la nature qui forment autant de respirations élégiaques sur les rythmes de la mousson, ou ce plan fascinant qui montre le domaine abandonné traversé par un placide boa.
"Pather Panchali" est le "A bout de souffle" de Satiajit Ray : tout est déjà là. Coup d'essai, coup de maître.