Je n’arrive pas à décoller de ma rétine l’image de la comtesse Erzsébet Bàrthory, qui déchire avec une dague sa peau, au dessus de son sein gauche, pour y introduire une mèche de cheveux châtains appartenant son amant, dont elle est convaincue qu’il l’a délaissé pour une autre plus jeune qu’elle. La scène, fascinante dans le désespoir amoureux qu’elle évoque s’éternise longuement sur la plaie sanguinolente, lentement refermée avec une suture à l’aiguille, afin que au plus près du coeur réside un bout de l’être chéri. La Comtesse, film réalisée par Julie Delpy, qui tient également le rôle principal est une interprétation du mythe construit autour de la figure de Erzsébet Bàthory, comtesse hongroise au XVIIème siècle, dont la légende défraya la chronique. Accusée de tuer par centaines des jeunes filles, de prendre des bains de sang de vierges, Erzsébet Bàthory fut assignée dans la chambre de son château pour le restant de ses jours, tandis que ses complices furent tous exécutés. Si les fameux bains sont aujourd’hui considérés comme des affabulations par les historiens les plus sérieux, rien n’indique, ou n’indiquerait point que la comtesse Bàthory fut effectivement coupable, ou non. En revanche, ce qui semblerait a priori certain serait l’exagération autour du mythe pour en constituer une sorte d’exemple du caractère émotif, vénal, voire hystérique des femmes.
Dans tout ce galimatias, il fallait faire des choix, entre le réel, le faux, et la part apparente de vérité. Julie Delpy choisit donc de garder certains aspects de l’histoire : on retrouve les jeunes filles vierges, saignées à blanc jusqu’à la tombe pour préserver la jeunesse de la comtesse, l’idée de la vierge de fer, un instrument de torture, dont l’existence est désormais remise en cause tant son idée paraît relever du fantasme et de la croyance populaire. Le tout est secouru par un environnement sombre, mélange essentiel de tons noirs et jaunes, dans un ensemble élevé vers le baroque. Les costumes, fins, détaillés, assortis de pierres chatoyantes sont en contraste total avec le peu de maquillage porté par les personnages, laissant apparaître la beauté et le charme naturel de Julie Delpy, réduit à l’existence de fines ridules par la Comtesse. Afin de donner un visage humain à une femme décrite dans l’Histoire comme un être fou et sanguinaire, Julie Delphy introduit une histoire d’amour avec un jeune homme, plus jeune d’une vingtaine d’années, incarnation de l’innocence et de la pureté, face à une noble dont les années passées ont petit à petit fini par altérer la raison. Ainsi, le mythe de la méchante reine, belle-mère dans Blanche Neige et celui de celle que l’on a parfois surnommé « la comtesse Dracula » sont mélangés, pour servir un propos relevant du politique.
Sans jamais céder aux sirènes du fantastique, Julie Delpy y revient pourtant souvent, non pas par petites touches, mais à l’aide d’allusions subtiles, notamment au mythe du vampire, par le biais du comte Vizakna dont la sombre réputation indiquerait qu’il ne peut se montrer à la lumière. Au final, malgré ce que le spectateur aura vu (les scènes de saignée, les cadavres disséminés un peu partout), un léger doute existera toujours ; non seulement, la Comtesse ne cessera de clamer son innocence, mais en plus, la fameuse « vierge de fer » arborera dans les derniers plans un lustre doré, comme si en réalité on en avait jamais fait vraiment l’usage…
Pour autant, le film n’est pas exempté de défauts. Il lui manque une certaine envergure, propre à toutes les productions mélo-dramatiques, et l’écriture des rôles secondaires peut laisser à désirer, notamment en ce qui concerne la sorcière qui accompagne la comtesse, ou son amour pour qui elle court après la beauté, jeune homme idéaliste à outrance, presque de façon caricaturale. Néanmoins, le personnage proposé par Julie Delpy marque par son mélange de folie, de force et de prestance. Elle porte à bout de bras tout le film, avec une opinion clairement affichée : la souffrance de Bàthory n’est que le résultat de la haine des hommes, qui une fois la Comtesse déchue de son piédestal en profiteront, tels des charognards. L’amour peut défaire n’importe quelle femme.