Une nuée de parapluies dans un cimetière de la Riviera italienne. On enterre une star d'Hollywood. Voix off : "La vie se comporte parfois comme si elle avait vu trop de mauvais films."
Ainsi débute La comtesse aux pieds nus, sommet de la carrière de Mankiewicz, qui tourne là le premier film de sa propre société de production, qui lui permet de s'affranchir de la tutelle des grands studios. "J'ai essayé, déclare t-il, de faire un conte de fées qui corresponde à la vie d'aujourd'hui, une version amère de Cendrillon." Le scénario semble basé, peu ou prou, sur des éléments autobiographiques de la vie de Rita Hayworth.
Bogart (son apparition en imperméable, sous la pluie, est une image de la mythologie hollywoodienne), est extraordinaire, homme fatigué et usé par la vie. Eblouissante, Ava Gardner réussit le prodige d'être aussi crédible en danseuse de flamenco qu'en star hollywoodienne.
A la somptueuse photographie de Jack Cardiff, répond une écriture scénaristique époustouflante et une mise en scène qui ne l'est pas moins. Mankiewicz filme la même scène sous différents angles (procédé déjà utilisé par Kubrick dans L'ultime razzia) et surtout, joue avec l'espace temps. Au moins huit flash-backs sont à noter, certains d'entre eux étant composés de flash-backs dans le flash-back. Par ailleurs, le destin de la comtesse est conté en voix off par 4 narrateurs différents, dont l'héroïne, elle-même. Avec Les ensorcelés de Minnelli et Boulevard du crépuscule, La comtesse aux pieds nus est le meilleur film classique consacré à ce miroir aux alouettes appelé Hollywood. Il est aussi le plus beau d'entre eux. Eternel.