Un scénario doit avoir un sens. La vie, non.
Mankiewicz aime exposer les complexes rapports entre êtres humains.
Un seul film ne saurait remplir ce noble objectif. C’est certainement la raison pour laquelle il préfère concentrer son récit, une nouvelle fois, sur un nombre restreint de personnages, leur offrir une existence riche et subtile, deux heures durant.
Présentés comme de véritables archétypes du monde de la Jet Set en premier lieu, les différents rôles s’étoffent tout au long du film. Le spectateur est tout d’abord leurré par leurs caractères faussement simplistes, pris au jeu des apparences puis, par petites touches, s’imprègne de leurs vastes personnalités, de leur nature profonde. Lorsque le rideau tombe.
N’est-ce pas la plus belle forme de réalisme cinématographique ?
Telle une succession de rencontres. Au premier regard, on offre aux autres une image biaisée de nous-mêmes, étrange composition mêlant la personne que nous aimerions être et celle que l’observateur aimerait que nous soyons. Puis la glace se brise, un semblant de confiance s’établit. Mais il faudra des années pour espérer connaître une quelconque forme d’intimité avec autrui.
La critique du milieu du cinéma, et plus largement de celui des hautes classes, est virulente.
Mais elle n’est pas le seul leitmotiv du film. Trop évidente, cette satire est annoncée sans discrétion aucune dès la première scène.
Les deux heures qui viennent, bien plus ambitieuses, proposent un voyage temporel dans la vie de ces quelques personnages, simples bouteilles dans l’océan de notre civilisation. Ballottés par le destin, quels que soient leurs ressources, leur charisme ou leur talent. Ils sont émouvants, même et surtout ceux que l’on rejetait au commencement, maudites apparences.
Evidemment, les dialogues sont travaillés. L’écriture est un des plus grands atouts de cette pellicule.
Mais ils savent aussi se faire oublier judicieusement. Les scènes du procès ou de la rencontre entre Maria et le comte en témoignent.
Le recours à la narration est une habitude chez Mankiewicz. Ici, elle est portée à son comble par les changements de narrateur, aisément amenés autour de la scène centrale, initiale et finale de l’enterrement. Loin d’alourdir le récit, cette démarche lui donne une nouvelle profondeur et est une condition sine qua non de la compréhension des motivations humaines mises en jeu.
Une mise en scène de premier ordre sert ce drame, une constante avec ce réalisateur.
Tout en douceur et en subtilité, la caméra offre aux acteurs en présence un espace d’expression privilégié. Ava Gardner crève l’écran, sensuelle, irrésistible. Mise en abîme s’il en est. Les rôles masculins, centrés autour de cette mystérieuse femme, sont également interprétés à la perfection.
Mankiewicz s’attarde à dessein sur un visage, une expression, un geste anodin. Car les relations humaines se jouent ainsi. Sur un détail. Une cigarette non allumée, un sourire, un regard, une main qui s'attarde.
La comtesse aux pieds nus n’a rien d’un film réaliste. Pourtant, il l’est dans l’habileté qu’a Mankiewicz de traiter les rapports humains. Film de faux-semblants par excellence, il offre de multiples niveaux de lecture et laisse cet air de reviens-y qui caractérise immédiatement les grands films.
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