La Conquête semble d'emblée être pétri d'une audace qui tiendrait presque de la témérité : réaliser un bon film français sur un président de la République encore en exercice. Audacieux, puisque l'entreprise est généralement vouée à l'échec, perdue entre le brûlot d'opinion et la pure spéculation sur les tenants, aboutissants, et intentions de l'action politique. Il suffit d'aller voir du côté de Michael Moore et d'Oliver Stone pour s'en convaincre.
A ce titre, la Conquête n'échappe pas à la règle : le personnage de Sarkozy parait tout droit sorti d'une dissert d'IEP ou d'un article au titre en une d'un journal ou magazine papier. Sarkozy qui dit texto "je vais être le ministre des médias", ou, en parlant de Villepin "je vais le niquer ce gros con", les dîners fantasmés entre celui-ci et celui-là où les intentions sont non pas suggérées mais clairement énoncées dans un plan clair et sans accrocs qui ne laisse aucune place à l'improvisation, les scènes qui s'enchaînent sans transition aucune pour que surtout, tous les petits moments de la campagne de 2007 apparaissent, tout ceci peine à donner une impression d'acuité, de réalisme. On s'attend presque à entendre Sarkozy dire "je veux être un président monarque" en tapant du poing sur la table.
Cette impression générale est soutenue par un jeu d'acteur très technique, des dialogues formels (où les personnages énoncent tous clairement leurs intentions comme dans un dialogue de sourds), dans un tout qui manque de naturel. En particulier, tous les acteurs paraissent se perdre dans l'imitation de leur personnage respectif, sans laisser place à l'interprétation, à l'improvisation. Tout se passe comme si le film extrapolait les personnages publics en supposant qu'ils sont les mêmes dans l'intimité. Chirac répète ses phrases célèbres ("ça m'en touche une sans faire bouger l'autre"), de Villepin est le toutou aux ordres direct de Chirac, Sarkozy est speed en toutes circonstances (et il mange un hamburger parce que mac-do, l'ultra-libéralisme, vous comprenez), et, le pire, Cécilia Sarkozy, pourvue d'horribles répliques ("je ne pars pas sur un coup de tête, mais sur un coup de coeur") parait être une simple poupée de cire à travers de laquelle le réalisateur parle directement. On n'échappe pas non plus à l'écriture franco-française avec des phrases écrites à la tsan tsan tsan ; "Je suis une Ferrari, quand on ouvre mon capot c'est avec des gants blancs". Personne n'y croit.
Malgré ces gros défauts, l'impression générale n'est pas si désagréable. Certains passages sont particulièrement bien vus. "Chirac veut me flinguer ? Je vais bouger partout, être une cible mouvante. Je vais ouvrir huit chantiers à la fois, ils vont rien comprendre". Polydalès a bien choppé les tics de Sarkozy. On pourra dire qu'il joue de façon caricaturale, mais le fait est, à bien y regarder, que Sarkozy (le vrai) a quand même un langage corporel lui-même à la limite de la caricature. Villepin qui court torse nu sur la plage, ou qui exulte en apprenant les problèmes de couple de Sarkozy. Quelques rares passages où on y croit un peu.
En bref, la Conquête est un film inégal, dont le principal défaut reste son manque de subtilité, de nuance. C'est un bon film pour se faire plaisir de façon vulgaire, parce qu'il chatouille notre dégoût de la classe politique, mais sans vraiment faire mouche. Il y a des choses à dire, mais la Conquête semble passer à côté pour dresser un panel de personnages sans nuances et sans profondeur, sacrifiant la crédibilité au profit de l'ostensible. Dommage.