Jusqu’ici, tout allait très bien. Le calme, l’entente, si les temps ont pu être durs jadis, la sérénité règne désormais, et rien ne peut fragiliser les liens qui unissent cet oncle et son neveu, qui sont comme un père et son fils. Tout pourrait être si simple, si seulement la conscience vengeresse n’émergeait pas soudainement pour tout anéantir.


En 1914, David Wark Griffith est déjà un cinéaste plus que confirmé. Mais il est dans un tournant de sa carrière. Après des centaines de court-métrages tournés entre 1908 et 1913, il passe au long-métrage, à une époque charnière où le format commence peu à peu à se démocratiser, notamment aux Etats-Unis et en Italie. Celui qui a vécu plusieurs années au milieu des livres vient ici adapter deux œuvres d’Edgar Allan Poe pour réaliser La Conscience Vengeresse, un film qui n’a pas spécialement fait date dans l’histoire du cinéma, ni dans la carrière du réalisateur, sans que cela signifie que ce sombre conte soit dénué d’intérêt.


L’influence de la littérature a souvent caractérisé le cinéma de D.W. Griffith. C’est elle qui l’a mené à démocratiser l’utilisation du montage alterné, et le cinéaste intègre différentes citations du poème « Annabel Lee » pour ponctuer son récit. La Conscience Vengeresse est un mélodrame où l’amour sera l’élément déclencheur du chaos qui va emporter le héros. C’est l’embrasement d’une passion soudaine et irrésistible, freiné par les réticences de l’oncle, la figure autoritaire, le mentor, qui, alors allié de toujours, devient l’ennemi juré à abattre. De la frustration naît l’injustice, qui est ici multiple : l’injustice face à l’impossibilité de faire accepter cette histoire d’amour naissante, et l’injustice envers l’oncle, qui a dédié sa vie à l’éducation de son neveu, et que ce dernier veut éliminer. Il y a comme une voix qui susurre à l’oreille du héros de commettre ce crime, qui invoque ses instincts les plus profonds et les plus primaires. « Si tu n’es pas avec moi, alors tu es contre moi. » Et si l’écartement de l’oncle pouvait ouvrir la porte du bonheur, en apparence, comment pouvoir vivre heureux après un tel malheur ?


La Conscience Vengeresse est un film dont le rythme va crescendo, autant que le métrage dévoile peu à peu son jeu et ses atouts. Prenant le temps de s’installer, il s’avère dans un premier temps très traditionnel, avant d’évoluer vers quelque chose de plus audacieux et avant-gardiste. Au fur et à mesure que le héros, devenu criminel, sombre dans la folie, D.W. Griffith installe un climat d’épouvante, montrant une véritable descente aux Enfers à l’esthétique très expressionniste avant l’heure. La mort incarnée en squelette ligote le héros, de drôles de personnages masqués s’installent dans son esprit, le fantôme de l’oncle vient rappeler à son neveu le crime qu’il a commis… Le mélodrame se mue peu à peu en une sorte de film d’épouvante, où seule une issue fatale semble possible. Et pourtant, elle ne le sera pas, mais le dénouement semble tellement opportuniste et jure tellement avec la progression du récit, qu’il semble soit imposé, ou alors ne s’agit-il simplement que d’une sorte de rêve ou de réalité alternative ?


Avec La Conscience Vengeresse, D.W. Griffith ne signe peut-être pas son film le plus mémorable, mais il rappelle une nouvelle fois à quel point son influence dans l’histoire du cinéma est palpable, et sa capacité à avoir vu les choses avant les autres. Comme dit précédemment, il y a quelque chose de très expressionniste dans ce film, alors que le mouvement ne se développera vraiment que dans les années 20. Il y a aussi quelque chose de très hitchcockien, dans ces relations troublées qui relient les personnages, et ce mélange des genres. Si les longs-métrages étaient encore très peu nombreux à l’époque, le cinéaste maîtrise déjà ici très bien le format, explorant son potentiel avant ses futures œuvres majeures.

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le 2 févr. 2019

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