Pas si loin du Prophète de Jacques Audiard...

Inspiré du Roman de la rose d'Umberto Eco et ancré dans l'histoire récente de l'Egypte, La Conspiration du Caire, évoque les luttes de pouvoir au sein de la prestigieuse université al-Azhar du Caire. Au moment où Adam, un simple fils de pêcheur est admis dans l'institution, le grand Imam de la mosquée meurt subitement. Ils sont trois à pouvoir prendre sa place, le cheikh Ngem, homme intègre et charismatique mais frappé de cécité, le cheikh Al Durani proche des Frères musulmans et le cheikh Omar Beblawi fidèle au pouvoir en place. Pour contrer l'influence des Frères musulmans, le colonel Ibrahim de la sûreté d’État les fait espionner par Zizo, un élève de l'école. Mais craignant pour sa sécurité, ce dernier demande à être relevé. Il se rapproche d'Adam et gagne sa confiance car il souhaite le présenter au colonel Ibrahim. Un soir, Zizo est exécuté. Bien qu'horrifié, Adam accepte de prendre sa place et reçoit dorénavant ses ordres du colonel Ibrahim qu'il rencontre régulièrement dans un café. Il lui transmet l'identité des fidèles qui oeuvrent pour les Frères musulmans. Sur le point d'être découvert à son tour, il est finalement sauvé par le colonel et devient son exécutant. En échange, le colonel fait soigner son père.

L'intrigue se corse lorsque le cheikh Ngem s'accuse du meurtre de Zizo. La police est obligée de l'arrêter et redoute que son procès ne lui donne l'occasion de révéler la responsabilité de l'État dans cet assassinat. Entretemps, Adam est parvenu à se rapprocher du cheikh Al Durani au point de découvrir qu'il n'est pas l'homme intègre qu'il prétend puisqu'il a une liaison hors mariage avec une jeune fille récemment tombée enceinte. Cela suffit à écarter le parti des Frères musulmans de la compétition.

Reste alors à désamorcer le risque de troubles à l'ordre public que le cheikh aveugle entretient depuis sa prison en s'accusant d'un meurtre qu'il ne peut avoir commis. Adam a pris conscience que son implication dans cette lutte de pouvoir justifiera son élimination. Il tente de fuir mais il est rapidement retrouvé et conduit à la sûreté d'État pour y être exécuté. En fin stratège, il parvient cependant à faire changer d'avis au cheikh qui renonce à ses aveux. Le jour du vote, c'est un proche de l'État, le cheikh Omar Beblawi, qui est élu. Adam échappe ainsi au sort réservé aux informateurs et peut retourner vivre dans son village.

Le film a remporté le prix du scénario au festival de Cannes du fait de l'intrigue de palais qu'il décrit plutôt habilement. On comprend que le réalisateur suédois d'origine égyptienne, Tarik Saleh, ne soit pas le bienvenu en Égypte (le film a été tourné principalement en Turquie). Son film montre clairement la collusion entre le pouvoir et l'église et la réalité des geôles égyptiennes où bon nombre d'opposants qui y ont séjourné n'en sont jamais ressortis. En amenant au pouvoir un militaire, le général Sissi, le printemps arabe s'est finalement retrouvé dans la même situation que sous l'ère Moubarak avec une sûreté d'État qui veille au grain.

Mais l'intrigue est plus universelle. Les pulsions primaires qui agitent son microcosme en font une allégorie du pouvoir. Si l'on prend, par exemple, le film Le Prophète de Jacques Audiard, il est clair que la destinée du jeune Malik à l'intérieur du milieu carcéral suit la même logique que celle d'Adam. Contraint par un clan mafieux corse d'assassiner celui qui pourra témoigner contre eux, Malik va adopter la même attitude de servilité au point de devenir le larbin et le protégé d'un caïd corse qui contrôle toute la prison. Dans le film d'Audiard, Malik parvient, à force de ruse, à gravir les échelons et à passer du rang de simple exécutant à celui de caïd. Disposant de son propre réseau, il est bientôt en mesure d'en imposer à ceux qui tenaient les rênes du pouvoir à son arrivée.

L'univers carcéral du film Le Prophète n'est pas l'institution religieuse mais si l'on excepte le glissement feutré des pas sur les tapis de la salle de prière, la violence et la ruse qui s'exercent dans les deux milieux en font des films symétriques qui tendent à la société un miroir dans lequel se reflète de façon décomplexée l'identique aspiration des hommes à régner. Le prophète dans les deux films est celui qui sait se faire agneau pour mieux tromper le loup.

On peut se demander, pour finir, si cette symétrie n'évoque pas une permanence du rapport de vassalité dans tout groupe organisé hiérarchiquement. Cela s'entend dans l'institution religieuse. Mais dans le Prophète la même analyse sert à montrer comment une société moderne, à défaut d'instrumentaliser l'institution religieuse, fait de l'univers carcéral un laboratoire de la société de demain où les pulsions seraient le matériau privilégié pour qui veut comprendre et diriger. Les puissants ont toujours un coup d'avance et la prison, comme microcosme du monde, leur donne à la fois l'alibi et la méthode. La religion est l'opium du peuple disait Marx. Peut-on dire que la prison en est son laboratoire ?