La Convocation, premier long métrage de Halfdan Ullmann Tøndel, plonge le spectateur dans un huis clos suffocant où jalousie, mensonges et non-dits s’entrechoquent avec une intensité tragique. Porté par Renate Reinsve, le film déploie un théâtre cinématographique fascinant, explorant les pulsions humaines à travers une mise en scène rigoureuse et des ruptures visuelles inattendues. Entre suspense psychologique et performance contemporaine, LaConvocation bouscule les conventions narratives pour offrir un drame hypnotique sur la vérité et la perception. Un chef-d’œuvre troublant à découvrir.
C’est un théâtre cinématographique qui va se jouer 2 heures durant dans La Convocation : un théâtre scopique d’où montent et se démontent avec l’intensité d’une tragédie grecque des pulsions de jalousie, des réservoirs de mensonges, de non-dits, de secrets et de refoulés. Théâtre cinématographique donc par l’unité de temps, de lieu et d’espace (on ne quittera jamais l’école, sa froideur) maintenue presque tout au long du film et qui en accentue l’atmosphère étouffante et claustrophobique.
Dans ce premier long métrage, La Convocation (titre original Armand), Caméra d’or à Cannes 2024, Halfdan Ullmann Tøndel (petit-fils d’Ingmar Bergman) instruit deux mots d’ordre qui sont le climat du film, sa loi : la suffocation et la fixation.
Une mère d’élève, Elizabeth (Renate Reinsve, prix d’interprétation à Cannes 2021), est convoquée à l’école de son fils pour tenter de discuter d’un incident grave survenu entre son fils Armand et Jon, et trouver une issue avec les parents de ce dernier. Commence alors un singulier tribunal entre les protagonistes conviés, où la parole performe avec cruauté et incongruité, autant que les regards, les silences, les rires intempestifs, les grimaces et les sonneries d’alarme narguent cette clinique des mots impuissants à éclaircir la vérité de ce qui s’est passé.
Film de regards par excellence, La Convocation porte à l’extrême l’idée que le cinéma est un art de l’œil et de la fixation, un art stupéfiant du dévisagement et de l’observation. Nous sommes spectateurs d’un drame en train de se révéler ou de prendre forme (l’anatomie des versions de la vérité) autant que chacun se voit scruté par la parole de l’autre et dévisagé par la caméra.
Ce qui est très beau et fort, tout d’abord dans ce film, c’est cette concentration suffocante des visages et des yeux à travers des plans rapprochés, un suspens des corps et des moments d’attente. Ce qui continuera d’être très fort est la transformation de cette concentration – huis clos strict – en scène libératoire, performative, dansée, peuplée, presque tribale : où l’héroïne (Elizabeth), sorte de Pietà moderne, est happée, lapidée puis touchée, respirée et comme réparée par tous les gestes et mouvements retirés et absents des scènes précédentes.
Souvent, Elizabeth, la mère accusée des agissements de son fils, parle, et c’est un autre visage qui est filmé. Ce décrochage entre le visage qui parle et celui qui est filmé crée une tension et une fulgurance palpables, une énigme psychologique en soi.
Le réalisateur accentue la suffocation de son histoire par l’incongruité de certaines réactions venant trouer la sévérité et la rigueur des scènes de parole. Un rire inextinguible, une crise de rire de l’actrice Renate Reinsve (incroyable dans sa performance) vient disrupter le langage d’une scène par ailleurs maîtrisée dans un silence stupéfiant. Puis une esquisse de danse accidentée, ravagée, vient à nouveau rompre et ouvrir la dureté d’ensemble.
La Convocation est un film dont l’écriture dramatique ne cesse de s’amplifier et de se concentrer au fur et à mesure des silences et des confrontations des adultes avec ce qu’ils ont reçu, répété, déformé ou trahi de la parole des enfants.
Tout s’emboîte alors tel un puzzle violent, rappelant un peu l’atmosphère de Douze hommes en colère (pour la claustration et la confusion dans les perceptions du vrai) ou La Chasse de Thomas Vinterberg (plus proche référence du cinéaste).
Enfin, dans l’avancée du suspense, Halfdan Ullmann Tøndel vient introduire à l’intérieur de la suprématie de son scénario des ruptures de mise en scène, sortes de décrochages faisant songer à de la danse et à la performance contemporaine, propices à traduire au plus juste l’état chaotique de la psyché d’Elizabeth.
Ce qui éblouit le plus dans le film est le mélange virtuose entre la rigueur sévère, presque métallique, de la mise en scène – renforcée par une bande son très présente (la première arrivée d’Elizabeth dans les longs couloirs de l’école est rendue inquiétante par le bruit martelé de ses chaussures) – et des irruptions de sensations très déstructurées, émotives, charnelles.
Le geste est brillant et captivant, à l’image des mots de l’héroïne à la fin : « Si on regarde les gens de manière superficielle, c’est très chaotique ; si on creuse, c’est pas terrible ; si l’on sait les regarder juste ce qu’il faut, c’est pas si mal. » Un coup de maître.