La Corde est sûrement l'un des plus grands films à suspense de l'histoire du cinéma. En tout cas, pour moi, il atteint un tel degré de tension et de fascination qu'il m'est difficile de mettre des mots sur cette boule au ventre qui me dévore pendant 1h20.
Rope est l'histoire de deux hommes, Brandon (John Dall) et Philip (Farley Granger), qui mettent fin aux jours d'un certain David à l'aide d'un petit morceau de corde. Avec beaucoup de perversité, Brandon décide d'organiser une réception avec les parents de ce même David, sa fiancée, son meilleur ami, et un certain Rupert (James Stewart, toujours aussi juste), mystérieux professeur un peu trop curieux ; le tout autour d'une table disposée sur le coffre même dans lequel Philip et lui ont caché le corps de David, faisant de son cercueil un buffet. Entreprise macabre et démoniaque, proche de l’œuvre d'art si l'on en croit Brandon (qui n'hésite pas à attacher les livres qu'il offre au père de David avec cette même corde qui a servi au crime), accouchant d'une narration maîtrisée de bout en bout et d'une personnalité incroyable.
Et c'est fou comment Hitchcock arrive à retourner le cerveau, si bien que l'on se range sans s'en rendre compte du côté des meurtriers, priant avec eux pour que les invités ne découvrent pas le crime. On a peur, on angoisse dès que quelqu'un s'approche trop près de ce fameux coffre, on craint que l'un des deux assassins, surtout Philip que l'on sent anxieux et coupable, ne fasse un pas de travers, ne se trahisse – ne nous trahisse, d'une certaine manière... On en devient paranoïaque, tout simplement, parce qu'on voit du soupçon partout. Et je me sens même pas un salaud, sur le moment – et là est la preuve indéniable du génie de ce réalisateur –, quand j'approuve naïvement les longs discours sur la légitimation du meurtre, en espérant que les conviés acquiescent à leur tour, comme s'ils avouaient indirectement par là être eux aussi capables d'assassiner un homme.
Mais on le sait, au fond : l'enquête solitaire de Rupert avance, et ce malgré les efforts de Brandon pour noyer l'affaire. Et à ce secret de polichinelle – car Brandon, Philip, Rupert comme le spectateur lui-même savent très bien que ce petit jeu du chat et de la souris va mal finir –, on y croit encore, on tente de se persuader lorsque Rupert quitte l'appartement : on se dit « Ouf ! il s'en est fallu de peu ! », tout en sachant que quelque chose le fera forcément revenir, s'il ne le fait pas de lui-même. La tension est à son paroxysme, on se dit : « Ça y est, cette fois, c'est foutu ! » Sauf que non, il y a toujours un détail, souvent fort insignifiant, qui parvient à repousser l'inévitable.
En termes de réalisation, on frôle la perfection. À la manière d'une pièce de théâtre, le métrage se présente comme une seule scène où la règle des trois unités est respectée : un seul temps, un seul lieu, une seule action. Tout est simple, et pourtant divinement bien orchestré. La caméra, filmant la soirée en un seul plan séquence (ou du moins en en donnant l'illusion, les limites de la pellicule obligeant Hitchcock à diviser son récit en onze scènes, une par bobine), joue au yo-yo entre les personnages, alternant gros plans volontairement révélateurs, plans fixes filmant le dos d'un personnage pour mieux mettre l'accent sur ce qui se passe à l'arrière-plan, ou encore des mouvements de caméra vacillants qui traduisent parfaitement le sentiment de malaise en train de s'installer chez le spectateur, et qui ne le quittera qu'une fois la dernière seconde écoulée.
Ahh... "What a lovely night !"
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