Séduits par les théories nietzschéennes de leur ancien professeur Rupert Cadell (James Stewart), deux étudiants (Farley Granger et John Dall) étranglent David, un de leurs anciens camarades, afin de prouver le droit des êtres supérieurs à tuer des êtres inférieurs. Cela juste avant une soirée à laquelle ils ont justement invités les parents de la victime, mais aussi M. Cadell...
Salué par tous comme un tour de force technique, c’est d’abord pour son apparence de plan-séquence unique (qui en raccorde en réalité huit, de manière parfois très maladroite, d'ailleurs) que La Corde est aujourd’hui connu. Une réputation assez ironique, étant donné qu’on ne compte tout de même pas moins de quatre coupes franches, mais surtout étant donné qu’Hitchcock lui-même se montrera extrêmement sévère avec ce film, considérant ce soi-disant plan-séquence comme un artifice idiot, le privant des ressources du montage.
On n’en saluera pas moins la mise en scène du réalisateur, exploitant à merveille l’espace, et offrant des mouvements de caméra d’une fluidité impressionnante. La virtuosité de la mise en scène, parvenant presque à effacer la théâtralité du sujet, reste toutefois soumise à la tension hitchcockienne, que le Maître du suspense distille ici de manière particulièrement géniale (le plan d'une efficacité redoutable sur la domestique qui débarrasse le buffet), d'autant qu'il ne délaisse à aucun instant son humour habituel.
Le casting, une fois n'est pas coutume, est lui aussi parfait, dominé par un James Stewart excellent en professeur dépassé par ses théories, et découvrant l'absurdité et le danger de leur application concrète.
Outre la forme, intéressante, c’est surtout le propos du film qui en constitue le principal intérêt. Passons sur les pathétiques fantasmes freudiens des pervers de service, qui font de La Corde une lecture uniquement tournée sur le sexe, y voyant une représentation frontale de l’homosexualité et en tirant tout un tas de conclusions sur la domination sexuelle, l'attirance et le refoulement, etc... Alors qu’Hitchcock ne permet à aucun moment de déterminer une quelconque relation homosexuelle entre ses deux personnages principaux, et ne s'intéresse clairement pas à la dimension sexuelle de son récit. En revanche, ce qui est évident, c’est que La Corde réfléchit très intelligemment sur la séduction que peut susciter le mal, mais aussi sur celle que peut engendrer d'absurdes théories nietzschéennes, à l'application dangereuse.
La vraie leçon de La Corde ne se trouve donc nullement dans une lecture sexuelle déplacée ; la vraie leçon de ce film, c’est qu’il est absurde pour l’homme de chercher à se transcender pour devenir un quelconque – et aberrant – surhomme. Non, ce n’est pas en se dépassant que l’homme devient pleinement humain, la transcendance n’est qu’une illusion néfaste. Car, qu’il le veuille ou non, l’homme n’est qu’un homme, et en tant que tel, il reste soumis aux lois du bien et du mal : nous sommes tous égaux, et nous n’avons nullement le droit de déterminer de notre propre arbitre si notre semblable doit mourir ou non.
Laissons donc le surhomme à l'état de concept philosophique, Nietzsche à ses rêveries mégalomaniaques, et contentons-nous de vivre, tout simplement. C'est déjà suffisamment dur comme cela pour ne pas y ajouter d'inutiles complications...