La caméra comme pinceau.
Le dernier long métrage de Patricio Guzman nous plonge une fois de plus dans un cadre cher au réalisateur exilé : son pays natal le Chili, et plus précisément, les montagnes de la cordillère des Andes qui encerclent la ville de Santiago.
Ici les roches millénaires sont filmées de manières picturales. La caméra brosse le portrait à la fois calme et déchainé de ces montagnes aussi chaotiques que majestueuses. Elles encerclent la ville natale de Guzman. Elles incarnent un infini rassurant pour le réalisateur qui affronte impuissant l’évolution effrénée des rues de Santiago.
De plus, les monts et glaciers offrent le matériau brut à l’artiste qu’il soit sculpteur, peintre, écrivain ou (dans le cas de P.Guzman), réalisateur. Les paysages glacés et rocailleux qui encerclent Santiago et recouvrent 80% du territoire chilien sont à la fois les muses et une frontière naturelle qui isolent et nourrissent l’imaginaire de l’artiste.
Le poids et les conséquences de l’insularité.
Cependant, malgré la beauté transcendantale de ce cadre, les montagnes peuvent se révéler être de terribles geôliers. C’est cette même insularité qui empêche les chiliens de s’ouvrir au monde et dans le cas du coup d’état militaire de 1976, de fuir leur pays. La nature se dresse alors comme une muraille pour les militants socialistes chiliens. Face à la dictature le choix est simple, il faut se battre ou bien se conformer au régime. Le réalisateur ainsi que les différents interviewés mettent en effet l’accent sur le sentiment terrible d’avoir été pris au piège. Cette enclave formée par la mer et les Andes s’est transformé en prison.
On ressent alors toute l’ambivalence de la cordillère à la fois matériau artistique inépuisable et étau liberticide.
La parole autobiographique de l’artiste.
Une fois de plus, Guzman offre une œuvre profondément sensible et personnelle. Le réalisateur habite son film, que ce soit explicitement par les commentaires mais aussi par le montage et son rapport traumatique à la dictature de Pinochet. Ici la nature s’efface peu à peu pour laisser place à un récit historique, mémoriel. La parole est donnée à d’autres artistises, à ceux qui contrairement au réalisateur, sont restés au Chili pendant la dictature.
Le réalisateur insuffle à son film de nombreux messages. Il se fait le gardien de la mémoire artistique chilienne mais aussi de la mémoire militante. En donnant la parole à ses confrères, Guzman croise les sources, les témoignages, il étoffe le passé en lui redonnant de la visibilité.
Cependant, il se dégage de cet engagement politique flagrant un message bien plus sensible et profond. Le réalisateur avoue ouvertement, aussi bien au spectateur qu’à lui-même, ses remords au sujet de l’exil. Il accepte haut et fort son statut de fuyard et souligne le courage d’autres artistes tel que Pablo qui restèrent au Chili pour filmer le quotidien de la dictature.
Un film touchant, une fois de plus très personnel, offrant un panorama artistique sur cette cordillère, lieu de perdition, d’inspiration et de contemplation.