Le très méditatif Patricio Guzmán nous entraine à nouveau au Chili, cette fois pour explorer les liens entre la cordillère des Andes et certains épisodes de l'histoire assez récente du pays, à commencer par la dictature de Pinochet, bien entendu. Pour évoquer la prise de pouvoir de la vieille raclure, il pioche dans les images qu'il a tournées à l'époque, caméra à l'épaule, depuis l'ascension d'Allende. Après un passage par le stade de Santiago ou des dizaines de milliers d'opposants aux "forces de la réaction", comme on les appelait à l'époque, ont été concentrés, brimés et parfois torturés, le réalisateur a choisi l'exil. Mais son copain Pablo est resté et à continué à documenter tous les soubresauts nationaux, chacune des tentatives courageuses du peuple chilien pour faire entendre sa voix, jusqu'à aujourd'hui. Ce sont donc ses images de manifestations et de répression policière, douloureuses à double titre pour un public français de notre époque, qui viennent se superposer à l'immaculé immobilisme de la Cordillère. Elle surplombe toutes les rues de la capitale, l'isolant du reste du continent, l'acculant quasiment à la condition d'île. Les premiers intervenants, sculpteurs ou écrivains, méditent sur l'influence de cette présence écrasante sur leur vie. Progressivement, ils livrent une analyse des méfaits de la dictature, qui dépassent amplement les violations des droits humains du début du régime. Au moins ceux-ci disaient-ils leur nom. Aujourd'hui, le plus grand accomplissement de cette oligarchie délétère, c'est le règne d'un néolibéralisme prédateur, inspiré de l'école de Chicago, qui draine toutes les forces vives de la nation et engraisse éhontément une caste triomphante, farcie de bonne conscience religieuse et confortée par son triomphe économique. Une défaite totale pour le reste de la population, et quasiment pour le genre humain. Pablo, le vidéaste, n'a qu'une obsession : documenter, encore et toujours, cette captation inique, qui a changé d'aspect mais pas de nature. C'est tout ce qu'il peut faire. Ça ne change pas grand-chose et pourtant, c'est essentiel, tandis que les cimes de la Cordillère continuent à dominer le paysage chilien, apparemment indifférentes. Mais les sommets qu'on ne peut atteindre jouent malgré tout un rôle de rappel. Ce beau documentaire, qui pêche un peu par sa voix off évoquant une dictée d'école primaire, creuse lui aussi son sillon et établit des ponts entre des réalités qui semblent coexister sans s'influencer...