Un murmure bien trop faible.
La ségrégation a toujours été un sujet délicat, mais pourtant fréquemment traité, du fait du sentiment de culpabilité que ressentent les Américains. Tout un tas de productions ont vu le jour, dont les inoubliables La couleur pourpre, Un monde à part, ou encore d'autres, plus légères, comme Corina Corina, mais certaines ont parfois la fâcheuse tendance de glisser vers l'acte de contrition sans grande inspiration. C'est malheureusement sur cette voie que s'est engagée La couleur des sentiments, qui avait pourtant tout pour proposer quelque chose de savoureux et indélébile. Très vite, malgré cette rencontre de femmes qui aurait pu être le lieu d'une lutte féministe, la réalisation tue le poussin dans l'œuf, étant trop plate et peinant à faire passer, justement, les sentiments. On ne reste pas non plus insensible au parcours de cette jeune blanche qui se bat pour aider les noirs, ni à ces noires qui luttent dans un milieu où l'esclavagisme n'a été aboli que sur le papier, mais l'ensemble ressemble trop à la saga du dimanche après-midi sur M6, et c'est donc sans surprise que l'on voit les événements se suivre sans imposer le moindre cachet. L'histoire est vue et revue, et ce qui gène d'autant plus, c'est que ce procès de l'Homme blanc finit par en être sa célébration, celui-ci étant en définitive le sauveur. Les clichés viennent également tristement assombrir le tableau, et le facepalm de l'année ira sans conteste à la représentation de la femme noire qui raffole du poulet frit, ce qui figure dans le top 10 des propos à éviter, mais on sera passé à côté du jus de raisin, c'est déjà ça.
Hormis ces défauts, l'œuvre nous impose par moments des instants à l'inverse efficaces et poignants, faisant regretter que l'ensemble n'ait pas eu le droit à une rigueur plus constante.
Bref, La couleur des sentiments est une adaptation décevante, sans non plus être franchement mauvaise. On déplorera un casting blanc incroyablement plat (si ce n'est quelques apparitions éclaires d'actrices comme Sissy Spacek ou Mary Steenburgen), tranchant littéralement avec le noir, qui lui est en revanche choisi avec intelligence, et réussissant à s'octroyer tous les instants émotionnels, qu'ils soient joyeux ou tristes, et c'est plutôt un bon point.
Certaines scènes resteront dans les esprits, que ça soit les encouragements de la vieille dame (Constantine) ou l'histoire de la mort du fils d'Aibileen, alors que d'autres, notamment dans sa dernière partie, fonderont dans le mélodramatique de bas étage comme le font justement tous les téléfilms d'M6. On mettra cette dernière partie sur le compte de l'inexpérience de Tate Taylor, ici réalisateur et scénariste, qui ne possède au compteur qu'un seul long-métrage, qui de plus est un navet (Pretty Ugly People).
On retiendra la bande-originale composée par Thomas Newman, comme toujours à la hauteur, et apportant le plus qui viendra soutenir l'œuvre et lui donner un côté moins amateur.
Pour conclure, à moins d'avoir loupé tout ce qui s'était fait en la matière depuis ces cinquante dernières années, cette production aura du mal à vous convaincre, ou du moins pas autant que ses prédécesseurs. Les autres auront aussi bien à faire que de se plonger dans le livre, plus profond dans ses émotions et ne souffrant pas des concessions qui ont dû être faites pour son adaptation cinématographique.
Mention spéciale pour Viola Davis, qui incarne le personnage le plus complexe de l'histoire, amer de par la mort de son fils, la violence de son mari, et évidemment la condition précaire dans laquelle elle vit.