Spielberg était un choix surprenant pour adapter le roman à succès d'Alice Walker, qui racontait sous une forme épistolaire les malheurs de Celie, afro-américaine abusée par son père puis maltraitée par un mari violent dans le Sud des Etats-Unis au début du XXème siècle. Un changement radical pour le réalisateur des « Aventuriers de l'Arche Perdue » et d' « E.T. ». A l'arrivée, « La Couleur Pourpre » est une tragi-comédie qui tente de réunir en 2h30 tous les ingrédients d'une saga familiale, d'un drame humain et la peinture d'un pays gangréné par une ségrégation raciale ; Le cinéaste s'est complètement approprié les thématiques du livre en y trouvant les caractéristiques qui marquent son cinéma, pour le meilleur comme pour le pire.
La première partie du film est ainsi très touchée par un manichéisme et par un sentimentalisme assumé et source de malaise (viol, inceste, racisme, esclavagisme domestique, déchirements familiaux...des thèmes lourds, graves mais enrobés d'un vernis très sucré : une musique très présente de Quincy Jones, la très belle photo d'Allen Daviau et des dialogues à la texture quelque peu "guimauve" qui romancent et filtrent la substance de la relation entre les deux sœurs...il n'y a aucune finesse dans ces scènes qui opposent les victimes au prédateur).

Mais les choses s'améliorent avec la présence de Whoopi Goldberg (émouvante et toujours très intense dans un rôle de femme "effacée"), et surtout grâce à Margaret Avery, qui campe une formidable Shug Avery et offre à la structure dramatique du film une nouvelle dimension. Toutes les scènes entre les deux femmes sont splendides : il y a la "leçon de sourire" que prodigue Shug à Célie puis le baiser qu'elles échangent, exceptionnel de justesse et de beauté, et qui constitue le premier moment d'intimité partagé volontairement par Celie. « Miss Celie's Blues », chanson qu'interprète Shug pour son amie, est un grand moment : pour la première fois, Celie est valorisée, mise en relief...quelqu'un lui prête une attention exclusive pour quelques minutes. Le film devient féministe dans le sens le plus fort du terme : leur identité dans ces scènes ne se constitue pas par rapport aux hommes, mais par rapport à leurs propres désirs, à leur individualité.
Le mélange des genres auquel aspire Spielberg devient par ailleurs très efficace avec l'entrée en scène de Sofia, force de la nature interprétée par Oprah Winfrey. Le film ressemble alors presque à une farce et à une comédie de mœurs. L'avalanche de drames qui la frappent sont très démonstratifs et tire-larmes, mais lui donnent une profondeur réelle. Chaque individu a une histoire personnelle et un parcours dont les éléments nous sont présentés de manière parfois complaisante, mais toujours passionnante et divertissante (aussi terribles soient-ils). Le récit s'étend sur une période de plus de trente ans, qui voit les personnages vieillir et mûrir (il faut noter l'excellence du travail sur le maquillage, qui traduit véritablement le passage des années sans donner aux acteurs l'apparence ridicule de clowns encombrés de prothèses faciales...une rareté qu'il est bon d'apprécier).

« La Couleur Pourpre » est du Spielberg à l'état brut, avec ses qualités (il est un excellent conteur, et un directeur d'acteurs accompli) et ses défauts (une surenchère dans des émotions dont on devine les échafaudages). Les scènes de retrouvailles entre Shug et son père puis entre Celie et sa famille sont révélatrices de ce va-et-vient permanent entre savoir-faire et roublardise : les "trucs" sont visibles, mais les séquences n'en sont pas moins extraordinaires. Les réserves que l'on peut avoir (des plans de trop sur les réactions émues de Sofia et d'Harpo ou encore la rédemption du personnage d'Albert) ne pèsent pas lourd en comparaison de l'émotion que l'on peut ressentir. Spielberg n'est tributaire que d'une exigence et d'une seule, celle de l'"entertainement" : peu importe si les séquences se suivent sans rester sur la même tonalité, ou si certaines concessions peuvent diminuer la portée du propos : l'essentiel est d'emporter le spectateur dans un mouvement narratif, sans jamais le lâcher.

On sort du film avec l'impression d'avoir été manipulé et promené...mais en se disant aussi que la ballade n'était pas désagréable.
Frankoix
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le 18 juin 2012

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