Les réalisateurs de La sociologue et l’Ourson sorti en 2013, nous proposent un film documentaire ayant une fois de plus un sujet sociétal en proie à de vifs débats. Après la loi pour le mariage pour tous, ils s’intéressent ici à la vie d’un jeune homme militant du Front national (à l’époque du tournage) et aux raisons qui le poussent à s’investir dans ce parti d’extrême droite. Aux côtés de Bastien Régnier pendant 6 mois durant les campagnes électorales de 2017, Mathias Théry et Etienne Chaillou filment son quotidien tant dans l’intimité de son studio, que dans son activité au sein du bureau front nationaliste de la Somme.
Ce lien créé au fil du temps avec les documentaristes, permet au spectateur d’être le témoin d’une étude aux airs de séance de psy, à base de lumière tamisée, de fauteuil massif, et de notes sur son passé compliqué; le tout filmé avec un espacement raisonnable entre le sujet et la caméra. Cette distance qu’on pourrait qualifiée d’humaine ; tantôt assez courte pour qu’on voit ses expressions, ses petits tics nerveux, tantôt assez grande pour que l’on observe son comportement au sein de son environnement, aux contacts des autres ; est présente tout au long du documentaire et donne une dimension (presque) objective à ce dernier.
Le dispositif mis en place par les réalisateurs renforce cette impression de distanciation : Pour commencer, les tournures de phrases très littéraires au passé simple et le niveau de langage de la voix off, ne sonnent pas naturels et confirment notre place d’observateur. En plus d’accompagner les images documentaires, cette voix anime également les images des entretiens, puisque c’est celle du réalisateur. Elle prend donc une place importante au sein du film, ce qui pourrait avoir comme conséquence de mettre Bastien au second plan ; or ce n’est pas le cas puisqu’elle décrit les pensées intimes et secrètes du protagoniste principal, et créé un dialogue constructif en le poussant à l’introspection, pour au final instituer une continuité prenante.
Enfin, la mise en abîme qu’est la lecture faite par « l’acteur » principal du scénario que nous sommes en train de voir se réaliser, pourrait finir d’achever la distanciation avec le spectateur et le faire sortir de l’histoire mais ce n’est pas essentiellement vrai. En effet, regarder ses réactions à sa propre histoire, le voir essayer d’atténuer certains faits, ou de les compléter (notamment lorsqu’ils ont été sciemment amputés) est captivant, et réveille nos instincts d’enquêteurs. Bastien tient le rôle central avec brio (à se demander si tout ça n’était pas prévu dès le début) en restant terre à terre, contrairement à certains de ses collègues ou amis se sentant pousser des ailes devant la caméra.
En conclusion, La Cravate est un documentaire sur une personne et non sur un parti. La place laissée aux idées et actions du Front National, très soucieux de l’image qu’il pourrait transmettre, est limitée. De surcroît, la politique de dédiabolisation et les initiatives en découlant sont tournées souvent en ridicules sans nécessairement l’intervention de la mise en scène. On découvre un point de vue politique exposé avec respect par les réalisateurs, tout en essayant de le questionner et de comprendre la complexité des pensées d’un jeune homme, qui n’a pas l’air si convaincu de sa place dans le monde politique.