L’action se situe en 1947 en Inde, juste avant l’indépendance du mois d’août. Mais la situation est complexe, car il ne s’agit pas de la simple lutte d’un peuple contre un autre. Il s’agit aussi d’hommes et de femmes. D’autre part, les indiens ont des partis et des castes.

George Cukor rend cela magnifiquement, en particulier en filmant au Pakistan et non en studio. L’ambiance du continent indien est ainsi bien rendue, notamment par des mouvements de foules particulièrement réalistes. Il y a aussi les couleurs et les lieux. Cukor montre les deux aspects que sont le faste et la pauvreté.

Au centre du film, la figure féminine de Victoria Jones (Ava Gardner) qui incarne une métisse. Celle-ci est séduisante et d’une féminité indéniable, mais elle n’est plus d’une jeunesse rayonnante. Ce que le film réussit le mieux, c’est à montrer la difficulté de Victoria à se situer entre les deux cultures. Elle passe deux fois au cours du film d’un homme à un autre et fait pencher ses valeurs d’un côté ou de l’autre selon les penchants de son cœur. Elle est prête à se marier en sari éblouissant, mais se montre incapable de renier l’influence majeure de son éducation.

Il faut dire que les circonstances vont l’inciter à réviser sa façon de percevoir les choses. Elle est militaire, en poste pour organiser la circulation des trains (même si, finalement, on la voit parfois dans un bureau et souvent sur le terrain, sans qu’on comprenne quelle est sa fonction exacte).

Le peuple hindou sent que son action est sur le point d’aboutir. Une grève massive permet d’immobiliser un train. Mais il y a deux partis en présence, l’un pacifiste (congressistes) et l’autre qui cherche les affrontements qui pourraient mener à l’anarchie et au chaos (des communistes, menés par un homme qui dirige la manœuvre dans l’ombre et qui semble à la botte de Moscou). Savage le colonel anglais qui dirige les troupes discute avec les hommes influents du coin. Il explique que le convoi doit récupérer un stock important de dynamite pour éviter qu’il tombe entre de mauvaises mains. Il y a un jeu d’influences très bien rendu. Finalement, Savage applique une idée simple et radicale. La décision révolte Victoria, alors qu'elle amuse franchement son collègue et amant. C’est le début des grands bouleversements pour Victoria.

Dans la foulée celle-ci se fait agresser un soir et elle se défend violemment. La voilà en fuite et en danger. Vulnérable, elle se trouve à la merci de ceux qui veulent bien lui prêter main forte.

Ce film beaucoup trop méconnu de George Cukor est une vraie réussite. L’ambiance du continent indien apparaît dès les premiers plans. Ces plans rendent également compte de la situation politique, au moment où les anglais sont sur le point de rentrer chez eux, alors que beaucoup d’entre eux ont vécu très longtemps sur place. Pour eux, c’est un véritable déchirement. La vie sentimentale de Victoria sert de fil conducteur à l’histoire, sans que cela soit schématique. Elle apparaît bien comme une femme de chair et de sang et non comme un simple personnage permettant de montrer ce que le réalisateur a en tête. Les couleurs sont très belles, sans que Cukor cherche à éblouir le spectateur à la recherche d’un exotisme facile. D’ailleurs, on sent qu’il ne recherche pas le spectaculaire à tout prix, puisqu’il pourrait montrer un accident de train. Non, il se contente de présenter la situation, puis d’utiliser une ellipse en passant directement à la situation statique des wagons disloqués et enchevêtrés (situation symbolique de ce qui se passe sur ce continent).

Le film montre la complexité de la situation de façon naturelle, en utilisant les pensées du colonel Savage (Stewart Granger) en voix off, surtout au début alors que les plans nous montrent tous les personnages qui gravitent dans la gare de Bohwani junction.

La surprise vient du fait que malgré l’imminence de l’indépendance, Gandhi est à peine évoqué, comme si le réalisateur voulait minimiser son rôle. Pourtant, ce personnage historique ô combien vénéré et influent apparaît fugitivement lors d’une scène qui sous-entend largement l’importance de son rôle.

Petit bémol cependant avec le début du film. L’introduction se termine par une scène où le colonel Savage prend un train et dit adieu à Victoria. Une scène qui m’a laissé perplexe une fois le film achevé. Avec un peu de recul j’y vois une tentative un peu maladroite de pied-de-nez aux conventions hollywoodiennes.
Electron
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le 22 janv. 2013

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